7 L’œnotourisme n’est pas une activité touristique comme les autres…
De fait, parce qu’il s’agit d’une activité culturelle, avec ses nuances, ses chapelles, ses niveaux de connaissance … il faut distinguer des variations dans les demandes touristiques. Un winelover de Chicago n’est pas un œnophile de Bruxelles.
Comme il a été dit dans la 1ere partie de cet article, l’échelle de valeur de l’engagement bachique, comme élément identitaire très structurant, peut revêtir de nombreuses interprétations tant pour le consommateur que pour les producteurs.
Cela implique une orientation marketing où il faudra prendre en compte le croisement entre l’offre œno-culturelle plus ou moins standardisée et la demande dans sa culture d’usage (selon les habitudes du client).
Rapporté à un échelon international l’offre oenotouristique Ligérienne, Dalmate ou Californienne seront mises en concurrence face à des œno-curieux provenant de Taïwan, Londres ou Vancouver, on observe aisément la complexité des croisements culturels qui peuvent résulter lors de l’expérience client.
Plus que jamais, d’un point de vue client, la partie subjective prend une part importante, ce qui signifie que la perception des dimensions culturelles d’une œno-destination arbitrera ses choix.
Une fois ce point corrélé avec la puissance de l’outil digital, les adaptations stratégiques devront sans cesse être combinées aux standards qualitatifs tout en mettant en exergue la particularité de l’offre.
La part patrimoniale du vin, donc sa dimension « spirituelle », constitue le point central du choix initial.
8 Quelle définition pour la Culture ?
De quelle Culture parle t-on ? Celle du vieil Européen face à celle du Nouveau Monde, celle urbaine d’un visiteur de Shanghai face à celle d’un villageois bourguignon ? Celle d’un chef étoilé face à celle d’un buveur de soda ?
Au-delà du produit vin, la Culture c’est aussi la façon d’appréhender notre monde : les coutumes régionales, l’écologie, le vivre ensemble …
Au travers de la dimension « terroir », les choix agrologiques du vigneron ont aussi une valeur culturelle : travailler les vignes en conventionnel, en agriculture raisonnée, en agriculture biologique ou biodynamique ne signifie pas la même chose.
Ainsi on en vient à parler d’engagement local qui peut avoir une résonance globale : la pratique des voyages et des réseaux sociaux permettent à ces problématiques de traverser les frontières. Certains pays ou territoires (on peut les considérer comme des destinations) deviennent leaders et des exemples en ces matières : les visiteurs souvent reflètent l’opinion moyenne de leur pays d’origine et par exemple les promesses des Américains ou des Chinois lors de la COP21 peuvent illustrer l’état d’esprit des touristes venant des ces pays.
En matière de Développement Durable, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), comprenant le consommateur, les conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, la gouvernance régionale et privée, les droits de l’homme … entre dans cette conception large du point de vue Culturel d’une œnodestination.
L’exemple, conté par le biologiste George Oxley, du RoundUp utilisé comme désherbant qui n’est possible que s’il existe des plantes génétiquement modifiées, est caractéristique d’une culture de la surproduction et de la surconsommation.
Le discours sur la préservation de la biodiversité, laissant la vie à la multitude de plantes (mais qu’est-ce qu’une mauvaise herbe ?) qui joue l’indispensable rôle de garantir l’équilibre des sols (Ph, vie bactérienne et fongique, insectes et micro-organismes …) concerne aussi bien celui du terroir viticole (support des vins qui ont une identité) que du terroir humain (choix de vie).
La mondialisation de la production viticole (de nombreux visiteurs internationaux considèrent le vin comme étant issu d’un process plutôt industriel qu’artisanal !) rentre donc en opposition avec la spécificité du terroir et son caractère unique.
9 Vers un idéal type de la consommation Culturelle oenotouristique ?
Ainsi, l’universel de l’imaginaire du vin rencontre celui de la globalisation et la PRATIQUE DU VIN qui suppose la beauté des paysage, le partage amical, la parole facilitée, l’harmonie relationnelle, un certain contact avec la nature, l’hédonisme …
La PRATIQUE CULTURELLE des individus (avec leur histoire propre, leur environnement, leur idéologie) peut venir bouleverser la sereine tradition du bien vivre local : aller à la rencontre d’un pays, d’un terroir est aussi un choc des Cultures et peut parfois révéler des situations cocasses ou incongrues.
Le rêve d’un voyage viticole contient donc les mythes fondateurs, l’idéal Virgilien, le mimétisme des classes dominantes … et cela fonctionne comme une trame qui constitue le désir intime des œnotouristes mais qui n’est pas toujours explicité. C’est aussi le cœur de la promesse agritouristique.
Certes, il vaut mieux montrer un vigneron en cotte dans une cave voûtée dénichant un flacon à l’étiquette mangée par l’humidité qu’un hôte aux gestes standardisés dans un lieu anonyme tenant une bouteille au design marketé : ce fantasme reste une vérité !
Nous sommes dans la caricature … mais le succès de l’accueil dépend grandement du désir du client et de la subtile combinaison du talent de l’équipe réceptive.
Le rêve d’une terre promise où coulent à flot lait, vin et miel se retrouve dans le projet d’œnotourisme, on pourrait y voir là la raison pour laquelle le taux de fréquentation s’accroît singulièrement à la période des vendanges.
10 A la croisée des Cultures
Mais si le visiteur a choisi une certaine œno-destination, ce n’est pas tant pour ses vins que l’offre globale qu’elle propose. En matière d’œno-destination, la concurrence entre Pinot ou Cabernet-Sauvignon pourrait se concevoir ainsi : Oregon versus Bourgogne, Napa Valley versus le Médoc …
Pour un amateur Australien ou Chinois, quels seront les éléments décisifs qui feront pencher la balance favorablement vers la destination France ou la destination USA ?
Ainsi les prestataires doivent être capables, sans dénaturer la qualité du service, de comprendre l’attente de quête de Mythe : il faut pouvoir intégrer cette donnée de nature quasi indicible afin de mettre à disposition du visiteur une opportunité expérientielle de niveau très qualitatif.
On pourrait résumer en affirmant qu’en France (et en Europe), la consommation de vin est liée à des dimensions hédonistes qui incluent l’histoire, les paysages, la gastronomie et le partage. C’est un usage qui a de la profondeur, de la densité, de l’identité.
A l’inverse, le nouveau monde consomme le vin comme un alcool. La Culture du vin progresse mais le chemin est long pour voir se généraliser une approche « traditionnelle». Le plaisir de consommer est immédiat, sans mettre le vin en perspective avec un quelconque patrimoine en général. C’est pratiquement plus un élément de distinction sociale et d’affirmation d’un certain niveau de développement culturel (lié à un sentiment de sophistication).
Ainsi sur Instagram, il est fréquent de trouver des posts où un grand vin est accompagné d’une … pizza : cela témoigne d’une confusion des genres, d’un réel plaisir du vin et de la bonne chaire (une bonne pizza c’est quand même excellent !) confronté à une impéritie gastronomique.
Les vignerons français ont du mal à s’adapter à cette approche « sans âme », purement consommatrice, sans lien avec un certain héritage ou une manière « d’être en vin ».
C’est aussi ce qui attire les authentiques winelovers du nouveau monde, c’est ce qui fait la différence positive de nos vins de terroir de ceux du nouveau monde. Par l’approche Terroir et avec ce supplément d’âme qui fait que nos vins sont un peu plus que simplement bons, les œnotouristes accèdent au rêve : un plaisir autre que gustatif.
En suivant la démonstration de Natacha Polony ** « l’alimentation (et donc le vin) s’ouvre sur des questions politiques, pour des raisons de contrôle social et consummériste, le sucré est mis en avant … » l’on comprend que les pratiques alimentaires & la valeurs des saveurs sont des marqueurs culturels manifestes !
11 La conformité de l’offre
Voyager suppose une rencontre entre au moins deux origines, deux cultures, deux « arts de vivre » : celui de l’hôte et celui du visiteur. L’accueil au sens large sous entend un certain sens de l’empathie, de la connaissance minimale de la Culture des visiteurs, de disponibilité, de professionnalisme.
Les rythmes de vie (heure des repas), les arts culinaires (association mets & vins, menu 3 plats …), la manière de consommer le vin (sentir, goûter, tenir son verre … ) changent d’un continent à un autre (rapidité de service, rythme de vie…).
Comprendre la Culture de l’autre c’est commencer à s’adapter au client, cela participe à la qualité de la prestation, donc de l’expérience client.
Le prestataire œnotouristique dans la même logique ne peut ignorer les pratiques quotidiennes d’un voyageur (selon sa cible client bien entendu), ses usages du digital, les civilités, les langues …
C’est sur la dimension de l’accueil que l’œnotourisme national a d’énormes marges de progression à faire (la France a 20% de touristes de plus que les USA mais trois fois moins de recettes). La fierté d’une production identitaire et fortement qualitative tend à faire oublier les rudiments des métiers de l’hospitalité.
C’est peut-être sur ce dernier critère que les œno-destinations françaises peuvent perdre la compétition.

La nature permet de se retrouver
La nature fait peur ! Elle effraye si l’on n’est pas prêt à franchir le pas de « l’exil » à la campagne – comme retour aux sources. La pratique du vin peut aussi se comprendre comme une compensation symbolique d’une campagne consommée (en ville : la plupart des winelovers sont citadins et disposent d’un certain niveau de vie), comme une dévotion à la vie, comme une appropriation de cette Nature perdue : la nature reste pressante par son appel mais qui effraie par sa vacuité.
Nous avons perdu les moyens et les codes qui nous y relient, nous ne savons plus la lire : d’où l’œnotourisme, qui peut être vu comme un prétexte au retour, une médiation via le vigneron qui interprète les paysages, les traditions et rappelle les rituels oubliés d’une vie rurale.
Le vin c’est le Vivant, ainsi l’œnotourisme peut se comprendre comme une métaphore de la quête de la VIE, un prétexte de retour au primaire, aux rituels d’une vie sauvage fantasmée. C’est un voyage inconscient vers une recherche de soi dans ses sensations (avec le vin, avec les autres, avec l’Humain), une quête de traces de cette vie perdue, une archéologie intime de l’Homme qui était moins urbanisé, moins connecté, en adorant les reliques d’un monde ancien. Souvenons-nous que la vigne est l’une des plantes possible qui incarne l’Arbre de Vie de la Genèse.
Mais cet aspect de l’agritourisme est un voyage dans toute sa réalité, qui en assumant la contradiction du fantasme de la nature, impose une exigence sans cesse rappelée des formes (réservation, langues, les bonnes pratiques de l’œnotourisme, propreté, connectivité…).
Le Vin : un art de vivre
On fait du « lifestyle » pour composer sa vie. Avec le Post-modernisme, il ne se suffit plus de consommer et de produire, on cherche du sens. Une intéressante étude de TripAdvisor : TripBarometer montre que « la découverte de nouvelles cultures est un facteur plus important que la météo dans le choix d’une destination, avec des voyageurs désireux d’élargir leurs horizons et d’expérimenter quelque chose de nouveau, plutôt que d’aller simplement vers une destination ensoleillée”
Ainsi, chaque individu devient artiste de son existence (plus Dionysiaque qu’Apollinien d’ailleurs !) et se crée une vie distincte de celle des autres, d’où l’essor des tendances comme la déco (personnalisation du chez soi), le voyage (accumulation d’expériences), du tatouage (hyper-personnalisation de soi).
L’usage du vin – surtout Outre Europe – procède du même phénomène ; les réseaux sociaux, tout en permettant l’expression de ce fait, témoigne de ce besoin de différenciation.
Dans le domaine du marketing en général mais particulièrement celui dédié à l’œnotourisme, cette remarque se caractérise par l’augmentation de la demande de prestations personnalisées, ce qui prouve bien ce souci de besoin de différenciation.
La dimension Culturelle du vin est le pivot plus ou moins visible d’une démarche qui englobe de nombreuses motivations mais qui reste la fondation d’un intérêt qui ne se dément pas.
* Hannah Arendt : La crise de la Culture
** Natacha Polony : intervention dans Le Sens des choses, France Culture 29/07/2017 : « Le sucré, le salé et la fonction politique de l’alimentation »