Depuis la crise sanitaire, la vision globale d’une économie enracinée dans un quotidien humain et responsable devient évidente. Les challenges du développement durable sont à réfléchir !
A ce sujet, nous fonctionnons plus par intuition que par analyse. Il y a urgence à œuvrer pour limiter l’impact de l’action humaine. Ce n’est pas uniquement parce que le client le demande, mais parce que nous tous en tant qu’individu nous devons ajouter notre pierre à l’édifice du vaste chantier mondialisé pour la lutte contre les G.E.S.
L’œnotourisme comme tous les secteurs d’activités est concerné.
Travailler ensemble sur les objectifs durables de l’œnodestination
L’aspect transversal des métiers de l’accueil viticole est l’une des caractéristiques de cette filière. Pour être efficace, il faut être capable de mettre en œuvre les moyens d’une construction de l’offre qui va au-delà de la propriété viticole !
A l’image du Pénédès en Catalogne où 80% des vignerons sont en bio, la différence ne se fera plus sur la qualité de la production agricole mais sur la cohérence de la chaîne de production globale. Du sourcing c’est-à-dire le référencement des fournisseurs jusqu’au SAV c’est-à-dire la relation client après consommation.
Cela revient à prendre en compte le parcours client sur l’ensemble de la chaîne de valeur. (recherche online, déplacements, utilisation digitale, prestations locales, services annexes comme les livraisons, conciergerie, activités …)
C’est une préoccupation que devra prendre en compte chacun des metteurs en marché de l’œnotourisme. Ce le sera encore plus à l’échelon du collectif : le territoire, la ComCom, le V&D ou même une région.
A l’exemple du CRTL Occitanie qui avec son Green New Deal se positionne comme destination durable & responsable : elle pense tant aux bénéfices du visiteurs qu’à ceux des habitants de la région.
Cette démarche prometteuse illustre une tendance de fond où concurrence de marques et bien-être des usagers entreront sur la balance.
Reconstruire le lien ville / campagne sur de nouvelles bases
Nous entrons dans une nouvelle ère, celle du transmodernisme* où le monde accéléré, digitalisé et global rencontre la contrainte écologique d’une planète limitée.
La vision d’un monde déséquilibré fait d’urbains qui consomment la campagne est devenu une réalité. L’agritourisme et l’œnotourisme sont alors des prétextes pour aller à la rencontre de paysages anonymes car le citadin a perdu les clés d’interprétation. L’homme augmenté, hyper consommateur est perdu dans le vide ennuyeux d’une ruralité fantasmée. Elle séduit autant qu’elle inquiète.
Entrer en interaction avec le terroir et la végétation avec Explorama
Il y a cependant un instinct du vivant, un besoin de poésie, un intérêt pour le sauvage**. Ainsi le prouve l’intérêt massif pour les vins natures et un certain retour au bucolique dont la crise du Covid 19 a été le témoin.
Je vois là une opportunité pour les métiers ruraux de pouvoir capter des individus / prospects grâce à ce besoin de ressourcement. Un avantage que possèdent « naturellement » tous les agriculteurs, artisans campagnards et prestataires pastoraux.
Mais il existe toujours ce mur de verre qui rend difficile le franchissement symbolique du civilisé vers le sauvage.
L’un des enjeux est dans la mise à disposition affective d’un imaginaire reconstructeur, désaliénant et positif. Cela en mettant en œuvre des solutions respectueuses de l’environnement et émotionnellement appropriables par le visiteur.
Un levier d’action pour les Œnodestinations
L’imaginaire hédonique est le moteur de l’œnotourisme … Il se couple d’un fantasme de pureté et d’authenticité. La quête de sens doit être accompagnée de modalités responsables de déplacement, de fonctionnalités économes pour la planète, de mises en tourisme plus intelligentes et moins prédatrices.
Voyager n’est plus synonyme de détruire.
Mais prétendre que l’on veut être durable n’est plus suffisant … Le storytelling est révolu ! Le consommateur veut se prouver en pratiquant les services œnotouristiques, qu’il est activement un agent écologique.
Pour cela, le visiteur a besoin d’être aidé dans son auto-réalisation. La qualité d’un produit n’est plus dans ce qui le caractérise en soi mais réside dans son usage global, son mode de consommation. Et en matière de tourisme viticole, il s’agit de mobilité, de réservation, d’expériences, de communication … Donc toutes ces composantes de l’offre œnotouristique doivent être durables pour in fine donner au client la sensation d’avoir co-produit une action durable.
Il s’agit de la mise en place d’action collectives. Le territoire doit être en mesure d’évoluer dans ce sens. Et c’est une dimension stimulante qui peut rallier les prestataires et les habitants. C’est poser une nouvelle définition du rapport au monde, des interactions entre espaces, métiers et fonctions.
C’est imaginer de nouvelles temporalités (tourisme des quatre saisons, slow tourisme, le wwoofing …)
Moins mais mieux : la qualité paie, surtout en œnotourisme
Le monde d’après … Il est possible que nous revenions au tout avion ! Mais il est fort probable aussi que le sentiment d’urgence planétaire et le besoin de déculpabiliser en étant responsable résiste à notre avidité sybarite de dépaysement.
Prendre des vacances c’est aussi élargir son horizon si l’on donne les moyens aux consommateurs d’y aller. Cet horizon (étymologiquement signifie limiter borner délimiter) peut être intérieur, intime et vécu.
Travailler sur les dimensions de l’expérience, en offrant une gamme d’émotion comme produit, en vendant des moments de vie, en jouant sur les contenus et leur signification … Tout cela comme réponse à un système obsolète du tourisme de masse pendulaire.
Le slow, le sur-mesure, le transformationnel sont des axes de valorisation des patrimoines (Culturels, paysagers, viticoles, humains …). Cela signifie envisager de nouveaux business models en lien avec les outils digitaux qui apparaissent sans cesse : les usages que le consommateur élira progressivement, déterminé par sa créativité et du dialogue tant au niveau b2b que b2c qui en résultera.
Le tourisme bienveillant devient l’autre face du tourisme durable, et cette ressource humaine, sans limite, est le gisement le plus précieux à notre disposition.
Conserver la valeur sur le territoire avec Wine’n Go
Vers une qualificationœnotourisme durable ?
Mais le consommateur a peur. Il doit sans cesse être rassuré. Notre société du fake et de l’infobésité impose aux prestataires de prouver ses allégations.
Le virage édicté par la crise sanitaire accélère les prises de conscience. La notion de progrès évolue. L’utopie smart centrée sur l’innovation numérique qui pense le confort et la praticité (moins d’attente, moins de regroupements, plus de fluidité ..) des visiteurs mais aussi des résidents n’est plus centrale.
Pour Rosa Maria Rodriguez Magda « l’innovation scientifique et technique ne garantit pas un développement durable »*.
C’est aussi l’innovation organisationnelle et sociétale qu’il faut prendre en compte. Réinstaller les haies dans les vignes et labourer au cheval sont des exemples de l’innovation régressive … Les acteurs du tourisme peuvent s’inspirer de l’élan viticole : Parcourir le vignoble à pieds ou à vélo par exemple.
Le RSE est une innovation qui a pour objectif de rendre la vie meilleure pour les autochtones, préserver la ressource et l’identité locale … C’est aussi penser une économie moins destructrice et plus sobre, plus économe …
L’objectif planète (réduction des G.E.S., préservation des écosystèmes, rationalisation de l’utilisation de l’eau …) et l’émergence des valeurs de respect et de bienveillance se combinent : une nouvelle interprétation du progrès.
Mais ces efforts de mise à niveau vers un œnotourisme durable devraient pouvoir s’évaluer en définissant les critères d’amélioration propres à cette filière. Un défi ambitieux et complexe tant l’œnotourisme est une activité transversale : est-ce une utopie ?
*La condition transmoderne – Rosa Maria Rodriguez Magda – L’Harmattan
**Réensauvagez-vous – Andréa Weber & Hildergaard Kurt – Le Pommier
Les chercheuses Marocaines F Ezzahra Ouboutaib et S Mekkaoui 8 ont identifié les facteurs qui participent à l’accession du sentiment d’authenticité :
-L’origine du produit
-Le savoir-faire ancestral
-L’amour du métier
-La Co-création du réenchantement
Elles sont parvenues à définir ce qui fait la force du terroir avec les trois premiers points qui caractérisent parfaitement le concept d’AOC et d’appellation. La dernière occurrence concerne plutôt les métiers de l’accueil.
Le vin est le lien entre le lieu, le terroir et celui qui le visite, l’œnotouriste. Il propose une atmosphère et supporte une ambiance … L’authenticité actionnée par la dégustation rend réel un sentiment de ce que devrait être le pays. Dans le verre se trouve héritage culturel, paysage, passion qui une fois le breuvage ingéré va transformer le touriste : il fait un peu partie du pays maintenant.
Du dehors il entre symboliquement, il appartient à la destination, c’est un autre « chez soi » : il est dedans. Une vraie potion magique !
Mais les frontières de l’authentique sont très personnelles. La « mise en scène de l’authenticité » selon Mac Cannel implique que « la conscience touristique est motivée par son désir d’expériences authentiques ». Pour Cova et Cova cela entraîne une quête de « singularité » et de « vérité ».
Pour Kim et Jamal, la société moderne avec son usage excessif du marketing et son obsession pour l’économie est devenue « inauthentique et aliénante», cela a induit un « manque » qui doit être « compensé » par une quête d’authenticité.
Une part du désir du vin et du voyage se situe dans le besoin de compensation. Une bouteille contient le savoir-faire du vigneron, le paysage patiemment construit, les légendes du terroir … et le voyage recèle l’idée d’un ailleurs et d’un ressourcement…
R Christin cite Guy Debord (Commentaires sur La société du spectacle Paris Gallimard 1992), « l’image construite et choisie par d’autres est le principal rapport de l’individu au monde qu’auparavant il regardait lui-même »12.
Plus que dans toute consommation, l’expérience du visiteur est une co-construction permanente. Cependant elle dépend de l’attitude sincère ou sur-jouée des hôtes. La relation au terroir passe toujours par une rencontre, un médiateur, un « stimulateur » (energizer en américain) selon R Cross 9.
Dans le cadre de prestations œnotouristiques professionnelles, c’est-à-dire selon les standards internationaux & digitalisés de l’accueil, « l’employé personnalise le service »…il « vend sa personnalité dans le but de vendre » !
Ce « Faux Moi » 10 selon Arlie R Hoschild, à l’instar des hôtesses de l’air qui sourient professionnellement et que tout réceptif a vécu une fois dans sa vie, met à distance les individus. Distance de l’hôte(sse) avec soi-même dans sa fonction et sa personnalité, distance aussi entre l’hôte(sse) et le visiteur, entre le pays visité et le visiteur.
Faut-il du spectaculaire à tout prix ?
Le vin en lui-même est une expérience. Combiné aux arcanes du tourisme, lui aussi source d’expérience, l’œnotourisme est très prometteur en enrichissement personnel.
C’est ici qu’intervient la scénarisation du service touristique autour du vin. Il s’agit de régler le moindre détail, d’assurer le jeu de tous les acteurs et d’harmoniser la prestation. C’est un travail qui doit paraître invisible et fluide aux yeux du visiteur. La vision de cette mise en scène est de préserver tout ce contenu implicite et attendu qu’il y a dans la bouteille de toute altération. C’est de faire plaisir tant au voyageur qui cherche à apprendre, découvrir, partager … qu’à l’hôte qui tient à transformer son effort en valeur (économique, relationnelle, promotionnelle …).
C’est un vrai travail ! C’est le fruit d’une analyse et d’une réflexion en amont pour adapter l’existant selon les contraintes du marché que l’on peut résumer en l’attente du client, la Culture d’origine, du réseau de distribution et du moment de l’expérience.
Le Design d’expérience est un art délicat ! Toute la problématique est de pourvoir formater (soucis d’exploitation quotidiens, adaptation aux conditions locales, standardisation selon les normes de la distribution digitales …) l’offre sans dénaturer ce qui fait le charme de l’œno-destination : ce quelle a de vrai, de sensible, de vivant …
C’est aussi éviter de la surenchère émotionnelle : utiliser l’image du Terroir pour en faire un supermarché du WOW en accumulant les effets visuels, les spots instagramables, scénarisant des activités fortement ancrées dans une ruralité porteuse de tradition …
En ne voulant « pas muséifier les climats de Bourgogne » et en créant « une relation harmonieuse entre ces activités et la protection du site » l’institution Patrimoine mondial de l’Unesco participe à la préservation de l’authenticité heureuse du pays.
« L’industrie touristique affiche les signes désincarnés et stéréotypés d’une altérité prise en charge par le marketing » 12.
Ainsi, sous prétexte de rendre actif un visiteur, ce type de mise en scène tendrait à le rendre plutôt en attente d’émotions servies sur un plateau, dans une forme de passivité où l’effort viendrait de la structure d’accueil qui appliquerait la bonne vieille recette des 5 S (spectaculaire, sensible, sensoriel, surprise & signifiant).
La quête de sens et l’authenticité risquent d’en prendre un coup. Ou bien faut-il considérer que le visiteur, vient jouer lui aussi, qu’il achète l’idée du vrai sachant qu’on en est loin ? Et si faire quelque chose de non authentique dans un contexte d’authenticité lui suffisait ?
Une « murder partie » dans des caves creusées centenaires, un pique-nique 10 mètres au-dessus du sol dans un chêne vénérable, un « serious-game » dans les vignes pour comprendre les écosystèmes d’un vigneron biodynamique seraient une supercherie de l’œnotourisme ?
Le visiteur désire corriger sa « pseudo-vie » faite de pratiques urbaines hyper disponibles et de la communion artificielle à la société du spectacle. Cela le conduit à « se plonger dans des ambiances inédites et ravissantes » ou sa « participation affective et immédiate » lui permettra un « vécu dans une vibration inédite » pour lui pense Bruce Bégout.
Standardisation versus authenticité ?
Mais qu’est-ce qui détermine l’authenticité ?
-Les caractéristiques propres du produit qui attestent de sa véracité (une visite de vigne avec le vigneron ou une Bouillabaisse maison au restaurant à Marseille)
-Le contexte dans lequel se déroule la prestation (une fête vigneronne dans un village ou une rencontre inopinée avec un autochtone)
-La certification officielle du produit acheté (vin AOP ou service labellisé Vignobles & Découvertes)
-Les recommandations qui ont orienté les choix du consommateur (les conseils d’un ami pour la visite d’un domaine ou un avis TripAdvisor pour la réservation d’une Chambre d’Hôtes)
-Les références personnelles : lectures, souvenirs, dégustations, conversation … qui orientent le client vers un processus d’appropriation de l’offre
Le monde se complexifie et il y a une vérité par individu. Comme il y a une expérience par client, y aurait-il une authenticité par visiteur ?
Sachant que cette notion de conformité (vers la vérité) peut signifier – la recherche d’un monde différent, la perception identitaire d’une population locale, le cliché de traditions, une nouvelle vision de la mondialisation, la visite de lieux ayant préservé leur style de vie ou le fruit d’une expérience – on envisage clairement la complexité du propos.
-Les vendanges touristiques, qui sont l’évocation d’un temps fort de l’année vigneronne où le visiteur est mis en action n’a rien à voir avec le travail harassant qui dure une ou deux semaines ni avec le repas collectif qui conclue la récolte.
-Les fêtes vigneronnes (Saint Marc à Châteauteuneuf du Pape, Saint Vincent en Bourgogne ou à Saint Croix du Mont par exemple) tentent d’évoquer une tradition qui semble oubliée même par les anciens du terroir.
-Un wine tour animé par un talentueux médiateur n’est finalement qu’une tentative d’imitation de la vie d’un sommelier en tournée en jouant la visite de vigne, la dégustation sur cuve, l’analyse sensorielle…
Ces quelques exemples, représentatifs de pratiques professionnelles de qualité pourraient être variablement qualifiés selon l’usager.
Un territoire authentique est jugé comme « inchangé », « dans son jus » voire « rustique ». Les messages envoyés aux visiteurs sont à double tranchants car cela pourrait aussi se conclure en une expérience négative qui pourrait signifier « refus de changement, d’adaptation et d’évolution »
Avec le désir paradoxal des clients qui cherchent le confort moderne combiné à l’authenticité, plus d’un marketeur, a que quoi devenir schizophrène !
Rodolphe Christin, dans son livre Manuel de l’antitourisme a un nom de chapitre évocateur : « Plaisirs simulé, jouissances programmées : standardisation du monde » 4. Il y analyse la standardisation de la mise en tourisme sous trois aspects
-Standardisation des espaces d’accueil
-Standardisation de l’accueil dans ses mentalités
-Standardisation des pratiques touristiques elles-mêmes
Il parle de management du monde !
-Comment rendre les vignobles accessibles en préservant la fraîcheur identitaire des Terroirs ?
-Comment construire des relations hôtes / visiteurs sans promesses frelatées par le souci concurrentiel de l’attractivité ?
-Comment faire fonctionner une économie sans casser la poule aux œufs d’or de l’intégrité et de la sincérité ?
Pour les acteurs de l’œnotourisme la problématique est complexe : tout se résume entre la gestion d’un écart entre l’idéal (préservation de ce qui est en s’enrichissant) et le réel (risque de surtourisme, de Parkerisation et d’hyper spécialisation laissant les autochtones sur la touche).
La compréhension rapide et flexible d’un nouvel environnement économique sera absolument indispensable à la survie des pros du tourisme nous dit Guillaume Zaffaroni.
Ce co-fondateur de WAG.travel, dont l’objet est d’analyser les flux digitaux, indirectement pose la question d’un nouveau rapport au marché. Les bases d’une politesse post-moderne doivent suivre l’idée d’un respect d’une relation spontanée.
L’authenticité prédictive de l’Intelligence Artificielle n’est pas synonyme d’anonymisation marketing de l’offre. Ici, se situe le grand écart de l’œnotourisme, le dilemme ontologique : les contraintes touristiques de la standardisation versus la vérité du Terroir !
On retrouve des éléments identiques de réflexion au niveau du professionnel de l’accueil avec son travail émotionnel. Le travailleur réceptif doit pour assurer ses fonctions endosser un rôle. Il est sensé représenter la marque du lieu visité, le terroir d’accueil, le pays. Pour Arlie R Hochschild la relation s’établit autour de règles de sentiments constituées selon les organisations et / ou institutions qui varient selon les cultures de chaque pays 10.
L’hôte peut-il rester lui-même dans ce qu’il est, dans sa culture individuelle et sa personnalité, s’il doit suivre les exigences comportementales demandées par son patron ou les conditions de vente (relation b2b, programme vendu …) ou les demandes plus ou moins explicites des voyageurs (de l’animation pédagogique au semblant de relation amicale, en passant par le spectaculaire) ?
C’est dans la rencontre que se trouve la valeur ajoutée (vente, fidélisation, partage digital, recommandation …)
Sachant que le vin mais aussi le voyage, tirent une bonne partie de leur intérêt de l’aspect social qu’ils apportent (rencontres, valorisation de soi, expression de soit au travers de l’acte de consommation …), la relation humaine visiteur / hôte est de première importance.
La qualité perçue doit être de qualité. Emotionnellement authentique, où les messages commerciaux, institutionnels, non verbaux doivent concorder avec « ce qu’il se passe » pendant ce moment de vérité.
R Christin parle de simulacre « qui prend en charge le remplacement fictionnel du disparu (l’authenticité, la sincérité, l’intact), en substituant à son corps de chair un corpus de signes » 4.
Plus beau que profond ?
Très souvent les clients, même connaisseurs, sortiront de la cave avec le souvenir (et la satisfaction) de l’harmonie de ce qui s’est passé, plutôt que du goût du vin. Et cela d’autant plus que les catégories de visiteurs les plus sensibles au travail émotionnel sont celles (classes moyennes et supérieures) qui consomment le vin.
L’alchimie entre le bon, le beau et le contact constitue les bases émotionnelles. Le médiateur par son comportement tient un rôle de première importance.
« C’est toute la différence du travail de surface et du travail en profondeur qui touchent différemment. L’un séduit et attire, l’autre interpelle et transforme »10.
Ainsi la recherche du wow et du spectaculaire à tout prix, mènent à un paradoxe qui peut provoquer un décalage entre une symbolique rurale et un utilitarisme affecté. De pure rencontre terrienne ancrée dans le Terroir au simulacre de la Disneylandisation, c’est le marché qui fait la différence en plaçant où bon lui semble ce qu’il pense êtredu vrai.
« Lors de mon voyage en Californie pendant l’hiver 1995-96, je fus frappé par l’attention chaleureuse des hôtes dans les wineries de Napa Valley. Les premiers contacts excessivement empathiques et les « take care » de l’adieu étaient particulièrement soignés. En bon français, j’avais trouvé tout cela faux et surjoué … Mais avec le recul, je comprends mieux cette vision quand je prends en compte les approches Culturelles des deux continents : le vin est objet de Culture en France, sujet à hédonisme aux Etats Unis ».
L’œnotourisme est en tension entre le rêve du visiteur, la promesse marketing du secteur d’activité et les valeurs du terroir. Cette triangulation qui semble facile sur le papier, ne trouve pas systématiquement des réponses convenables selon les points de vue.
L’antagonisme est parfois important : métier chronophage, l’accueil implique à l’occasion des adaptations qui éloignent l’offre de l’essence même du vin et du pays visité.
Où se trouvent la passion, la convivialité, la détente, la perception d’une identité, le partage de valeurs … lorsque que le temps est compté, qu’un décor prétend reproduire un univers bachique, quand les installations sont conçues comme des « duty free » d’aéroport, quand des événements expriment plus le fruit d’une vision marketing qu’une démarche populaire, quand la population locale n’est pas au diapason d’une évolution territoriale dont l’économie est la seule vision ?
L’on comprend que la profession viticole « fasse de la résistance » et qu’elle ne désire pas se mentir à elle-même.
Dans ces conditions, « le système commercial s’approprie l’échange de dons privés en matière d’émotion » ou la « chaleur spontanée devient un argument de vente »10.
L’abyme entre une vie vigneronne rythmée par le cycle de la vigne a du mal à coïncider avec les exigences d’industrialisation d’un marketing touristique.
Une relation « qui ne fait pas semblant » ?
La cohérence entre la demande et la prestation est alors la source d’une sincérité réalisable. Elle dépend du contexte, du « timing » et du tempo des émotions, elle dépend aussi du médiateur avec son savoir et son humeur, qui par son pouvoir d’influence, changera la perception du sentiment d’authenticité.
Mais tout réside à la fin dans les compétences relationnelles mises en place. Le vin c’est la rencontre, l’une de ses valeurs fondamentales. Il appartient alors à l’entreprise œnotouristique de « coordonner ses émotions, de gérer les exaltations artificielles, de dissimuler fatigue et irritation … pour rentrer dans des normes relationnelles ».10
La relation interpersonnelle est le point central de l’accueil œnotouristique, c’est « un vecteur de vérité, c’est là aussi que se jouent les dissonances émotives.
Dans le cadre d’une relation commerciale, il n’est plus déshonorable de simuler » 10, de faire comme si l’on traitait les visiteurs comme des amis ou de la famille … La vérité médiatisée par l’émotion va dépendre d’une certaine forme d’illusion résultant de la mise en scène.
Donc, feindre la sincérité de l’accueil généreux et spontané pour … peut-être performer et obtenir l’authenticité au bout du compte ?
L’empathie des hôtes qui répond à une idéalisation de la sociabilité, est orchestrée par l’entreprise, valorisée et mise en vente. Il s’agit d’un pacte implicite qui se traduit selon Hochschild par le visage : « la machine expressive »10. Accepter cet engagement du jeu du je, de l’instrumentalisation, de l’amitié mise en scène, est la condition pour la réussite d’un business efficace.
Est professionnel en matière de réceptif œnotouristique, celui qui accepte la règle du jeu de la standardisation … Ce qui pourrait être perçu par certain comme un abandon d’une perte de sincérité, d’intégrité, d’authenticité !
conclusion : Le vrai est dans la rencontre
L’authenticité serait alors d’être vraiment en relation avec le pays visité, avec le terroir et les gens ? Un winetour vendu sur Viator provoquerait-il du désenchantement, instrumentalisant les acteurs car finalement on aboutirait selon Harmut Rosa à une « relation sans relations »2 ?
Et elle serait une part importante de cette expérience résonante qui transforme le visiteur et le pays découvert (aux yeux du visiteur) puisqu’elle serait le fruit de faits non prévisibles, indisponibles selon les termes du sociologue. Même si, dans le cadre d’une mise en scène, où l’ingénierie sociale qui est un « ensemble de techniques modifiant les comportements des individus », institue des rôles et des règles et dépendent des institutions et des Cultures. Arlie R Hochschild 10
Eva Illouz considère « l’authenticité émotionnelle comme un dispositif social, une chaîne de rituels et d’objets, déployés dans un espace accueillant : l’authenticité comme une performance »3. Concept qui prend une valeur particulière quand on sait que le cerveau à une « disposition à faire preuve d’émotion sociale » 11.
Je laisse conclure le philosophe américain Charles Taylor qui interprète « la validité de l’authenticité quand elle est incluse dans un cadre collectif alors qu’elle ne l’est plus quand les objectifs sont centrés sur le moi ».
Voilà toute la différence entre un buveur d’étiquette ou de « 100 points Parker » en transe parce qu’il entre en résonance avec la communauté des amateurs de vin et un auteur de selfie qui visite cette même propriété parkerisée pour partager sur les réseaux.
Anamnèse* : L’anamnèse découvre des « archétypes » qui n’appartiennent plus à l’individualité du patient, mais à l’inconscient collectif
1 Pine & Gilmore: Authenticity, what consumers really want ? – Boston – Harvard Business School Press
2 Harmut Rosa : Rendre le monde indisponible – Paris, La Découverte
3 Eva Illouz : Les marchandises émotionnelles – Paris, Premier Parallèle
4 Rodolphe Christin : Le Manuel de l’Anti-Tourisme – Editions Ecosociété
5 Luc Boltanski et Arnaux Esquerre : Enrichissement. Une critique de la marchandise – Paris, Gallimard
« J’ai besoin d’air, j’ai besoin d’espace pour que ma pensée se cristallise. Je ne m’intéresse plus qu’à ce qui est vrai, sincère, pur, large, en un seul mot, l’authentique, et je suis venu ici pour cultiver l’authentique ». Jean de Florette de Marcel Pagnol
Véritable filon marketing, le thème de l’authenticité est un sujet assez complexe à traiter. Il reflète un désir spontané de la part des consommateurs. Ce besoin est amplifié par un monde dominé par l’économie et la finance, subjugué par la communication dont on sait qu’elle est de moins en moins vraie.
Parallèlement, les clients changent : ils sont de plus en plus blasés, impatients, instables et en même temps cherchent à s’impliquer, s’identifier et s’exprimer dans l’acte d’achat. On peut y voir les effets de la digitalisation du monde.
Pine & Gilmore 1 affirment que « le marketing a fait de l’authenticité une qualité du produit avant d’en faire une qualité de l’entreprise elle-même », ils précisent d’ailleurs que « ce n’est pas une simple image attachée à l’objet mais une plus value économique » !
Vin & tourisme pour leurs dimensions sociales, sensorielles et expérentielles, hédoniques et psychologiques sont intimement en relation avec les définitions de l’authenticité. Les valeurs relatives à cet univers œnotouristique véhiculent la perpétuation de savoir-faire, d’identités, de pratiques et surtout motivent un discours qui invite les visiteurs à passer à l’acte : voyager.
Cultiver de l’authentique
-Est-ce que les vins de Liber Pater dans le Bordelais ou ceux du domaine Henry en Languedoc, vinifiés avec les cépages pré-phylloxériques, sont plus authentiques que ceux de leurs voisins vignerons ?
-Est-ce que des vendanges à l’ancienne, qui prétendent être authentique, le sont-elle réellement ?
-Pourquoi les visiteurs sont-ils à la recherche de services ou d’activités authentiques ?
L’ingénierie touristique vise à développer l’attractivité d’une destination pour en faire ressortir de la valeur : on utilise une expression à cet effet « la mise en tourisme » de …
Le Golfe du Lion a été mis en tourisme avec le plan Racine, la Culture a été mise en tourisme avec l’ouverture et la mise en scène d’espaces patrimoniaux et urbains, les vieux métiers, les paysages jusqu’à la vigne qui s’est institutionnellement structurée avec Vignobles & Découvertes dès le 3 mars 2009.
La Lavande, totem provençal, n’a été cultivée qu’au tout début du 20ème siècle, il ne s’agit pas d’une tradition multiséculaire, même si depuis des lustres sa récolte sauvage était traditionnelle. Un ancrage aussi ténu justifie pourtant une communication et surtout répond à une soif de la part des visiteurs de s’accrocher à une idéalisation. Cette plante aux nombreuses vertus s’en est vu adjoindre une nouvelle, en réifiant l’art de vivre provençal.
Cette transformation de gisements d’activités (paysages, activités Culturelles, savoir-faire, patrimoines immatériels et gustatifs, activités physiques, artistiques ou intellectuelles …) procède toujours de la « mise en valeur » du potentiel pour améliorer l’attractivité, pour différencier la destination, pour rendre séduisante une offre parfois un peu terne.
La marchandisation du tourisme
Il s’agit donc de valoriser. Une action d’ingénierie touristique consiste alors à transformer un potentiel d’attraction en valeur, monétaire de préférence !
Valoriser sous cet angle reviendrait à « rendre disponible » 2 ce qui est en gisement. C’est-à-dire, au vu d’un mode de consommation, détecter et extraire un contenu marchandisable.
« L’expérience technologique … met le monde en spectacle … l’individu devient un simple spectateur qui n’a qu’à manipuler des boutons » nous dit Rodolphe Christin dans son La vraie vie est ailleurs. Le consommateur en vient a désirer des images construites par d’autres que lui, ce qui simplifie son approche du monde, à la stéréotyper.
La marchandisation affecte les destinations, les vignobles, les appellations … Voyager dans le Pénédès n’a pas le même impact émotionnel que de visiter le vignoble de Mosel : le contenu, les valeurs, la signification de ces dernières … tout cela, même si les gestes sont sensiblement équivalents, procure des résultats très différents.
Ce contenu d’expériences, qui est au centre de la sphère de la consommation, selon Eva Illouz 3 a pour effet « de libérer le moi de l’individu, d’en affirmer son authenticité, de l’épanouir émotionnellement ».
Au 21ème siècle, à l’ère du post-modernisme, l’individu s’exprime par la consommation. De ce point de vue, E Illouz distingue l’authenticité objective, qui résulte des propriétés intrinsèques propres aux objets et une authenticité subjective, résultant des perceptions et de l’expérience du consommateur.
Ainsi les paysages ligériens, doux et parsemés de Châteaux offrent un potentiel de contenu caractéristique, reconnaissable et particulier qui se positionne différemment de l’offre de la vallée du Douro, façonné de terrasses, à l’imaginaire et à la Culture singuliers.
Objectivement les opportunités d’expériences seront différentes même si les programmes se ressemblent comme deux gouttes d’eau.
L’authenticité subjective est liée au degré de désirabilité du client : elle dépend du Moi Personnel et du Moi Désiré (Mattan Shachak 3). Elle est le fruit d’une projection, d’une Culture, d’un niveau de connaissance, d’accumulation de faits durant le voyage … A ce titre, l’authenticité est dépendante de la Culture du visiteur comme point de référence.
Message Instagram 9 ans après le service œnotouristique
J‘ai le souvenir de stagiaires œnotouristiques qui avaient été très déçus par la visite d’un grand château Bordelais. Bien que la prestation fut parfaite (qualité des informations, disponibilité du guide, organisation réceptive), les élèves avaient trouvé le service trop « froid » trop « lisse » … à des lieux de leurs représentations du vin. L’aspect authentique de la vie Bordelaise était masqué par une mise en scène trop présente sûrement conçue pour d’autres cibles clients.
J’ai eu l’occasion de guider des groupes de visiteurs internationaux sur des types de prestations identiques. Leurs éléments de qualification du sentiment d’authenticité très différents, étaient basés sur le fait de pouvoir toucher ce qui fait la France en vivant enfin ce qu’ils avaient projeté initialement : les sons, les odeurs, l’ambiance …
Par ces exemples on comprend que les critères du sentiment d’authenticité dépendent des attentes initiales. Avec le premier cas, le voyage motivé par l’étude, avait pour cadre la projection d’un futur professionnel idéalisé. Dans le second, le désir était fondé sur le dépaysement, la consommation d’expérience, le partage avec le groupe, le tout contribuant à la construction d’un soi nouveau.
L’expérience authentique de soi
Dans une perspective post-moderniste, globale et digitalisée, où l’autopromotion tient pour règle de vie, « l’authenticité s’impose comme une exigence sociale ». On comprend de fait l’émergence des coachs personnels, du « Quantified Self » ou du soin de l’image de soi. Poster un selfie ou être actif sur Instagram est une stratégie de Personal Branding.
Et le vin dans tout ça ? On sait que le vin va bien à Instagram. Les valeurs du vin et son appropriation (élitisme, hédonisme, art de vivre…) peuvent être très photogéniques. En cela voyager est également très tendance au 21ème siècle. Ca se like très bien !
Par ces actions on se distingue, on se rend indispensable par le pouvoir d’influence, par ce discours personnel fondé sur l’émotion vécue et sincère : « c’est l’authenticité émotionnelle plus que l’authenticité factuelle qui est source d’autorité 3.
Toute l’industrie touristique et le monde du vin dans une moindre mesure basent leur force de conviction sur le rêve et la promesse : Hartum Rosa 2 explique que « la logique de la marchandisation capitaliste et du consumérisme se fonde sur le fait de répondre à la soif de résonance sous forme de promesse de disponibilité et d’orienter le désir qui guide l’action vers l’objet »
Il fait une différence entre appropriation et assimilation. Pour lui, l’appropriation résulte de la pratique d’un programme fonctionnel (interprétation paysagère, dégustation commentée, cooking class) sans entrer en résonance avec le pays ou le vin.
La résonance est l’accès à l’assimilation, c’est-à-dire ressentir pour de vrai ce qui n’est pas automatiquement prévisible et vendable, c’est enfin accéder au rêve parce qu’il devient réalité, c’est de mettre une sensation sur un concept que l’on a découvert sur un site ou une brochure …
C’est ce désir transformé en promesse qui tient dans l’énergie vitale de l’authenticité subjective !
A chaque désir correspond une offre. Ce matériau touristique, la plupart du temps tangible et sensible, a la particularité de s’immatérialiser par la magie de la distribution et de devenir un objet de consommation « froid », qui transforme le désir de vivre quelque chose en objet commercial.
Le rêve d’un style de vie, l’intuition d’une saveur, la projection d’une expérience … une fois couchée sur le papier glacé des antiques catalogues ou des sites internet, deviennent des offres anonymisées dans un process automatique de vente.
Du tourisme élitiste fin XIXème, en passant par les congés payés et la massification de la consommation touristique, le contenu a muté, passant de l’inédit, l’unique et inattendu d’antan à la promesse, la garantie, et la compensation commerciale contemporaine. « La prise de risque du voyageur a disparu » 4 et a laissé la place au touriste acheteur d’un contenu essentiellement fonctionnel.
Mais en passant à l’échelon digital, la massification est également devenue une opportunité de personnalisation, transformant du coup le légitime désir d’inédit en industrialisation des désirs du futur visiteur.
L’idéal et l’immatériel
Il est des secteurs plus ou moins standardisables. Tous ceux relatifs au sentiment d’appartenance, au goût, à la manière d’être, à la Culture du lieu sont moins propres à entrer dans les cases du marketing touristique.
Ces univers de « résistance » à l’industrialisation des services deviennent de ce fait encore plus attractifs simplement par le fait qu’ils sont rares et difficiles d’accès. Leurs côtes augmentent, comme en parlent Luc Boltanski et Arnaux Esquerre 5 avec leur développement sur la théorie de la Valeur de l’ancien.
«L’attractivité des modes de vie » du Luberon trouve son expression dans une pseudo restitution du bâtit en « pierre sèche ». Territoire colonisé dans les années 60, le parisien récemment provençal a projeté son attachement au pays en grattant les enduis pour retrouver l’idée d’un authentique idéalisé.
Contresens colossal quand on sait qu’au siècle précédant, le paysan enduisait le mas à la chaux pour se protéger des intempéries mais aussi ostentatoirement pour prouver qu’il en avait les moyens.
« L’identité communautaire est le témoignage d’une vocation culturelle et de tous ses caractères au travers des modes d’existence projetés dans le futur et nourrie d’une anamnèse* reconstruite pour une authenticité choisie, révélée » pense Roger Nifle 5.
Et comme avec l’exemple de la French Riviera à la fin XIXème, dévolue aux Princes Russes et Lords Anglais, la convoitise de la masse a amené à copier « l’élite ». D’un Maupassant qui écrit « Sur l’eau » à « Tendre est la nuit » de Scott Fitgerald, l’utopie de la destination a été suffisamment puissante pour installer la « Jet Set » chère à Moravia dans une mémoire collective génératrice par la suite de flux touristiques.
On passe d’une pratique intime au mythe puis l’on glisse vers l’exploitation de ce gisement vers le développement de toutes les variantes consommatoires de la destination grâce à la force magique de la narration.
Tous les lieux / services encore vierges risquent de suivre le même chemin. Ainsi Haut-Brion et Romanée-Conti ont été totemisé, ouvrant la voie à tous les Pendfold Grange ou Mondavi de la planète.
Le combat des anciens et des modernes
Le vin également, fait communauté autour d’un imaginaire largement mondialisé, basé sur une tradition, une origine, une certification … une authenticité.
Ainsi s’est construite la filière œnotouristique, tout du moins en Europe. Le phantasme du voyage viticole s’est établi autour d’une quête de nature et de ruralité, d’ancrage et d’héritage culturel, d’éveil des sens et d’apprentissage.
Tout cela a évolué entre deux références dominantes : le château prestigieux et le vigneron artisan. En caricaturant on pourrait parler des modèles Bordelais et Bourguignon. Le premier développant un discours basé sur la réputation, l’histoire et l’architecture ; le second parlant plutôt d’individu, de terroir et d’intimité.
Aucun n’est pire ou meilleur que l’autre : ce sont des visions du monde complémentaires.
Les valeurs du vin ont ceci de puissant qu’elles sont universelles, héritées d’un temps ancien et surtout intuitives. C’est un assemblage de Culture, de partage, d’émotion et d’expression. Cette complexité de l’imaginaire du vin complète heureusement celle du tourisme qui propose dépaysement, détente, apprentissage et émerveillement.
Le fond de commerce de l’œnotourisme est très riche d’une promesse qui fait sens dans un monde post moderne perturbé par une mondialisation angoissante, une emprise des médias sur nos cerveaux et des préoccupations écologiques sans cesse croissantes.
Les amateurs de vins naturels ou de crus prestigieux, les acheteurs de canettes ou de vins en amphore, les buveurs occasionnels ou les winegeeks se retrouvent tous dans la massive congrégation des perpétuateurs d’une relation au monde qui pourrait se revendiquer de la tradition et de l’authenticité.
Un antidote aux angoissantes pensées post moderne
Le 21ème siècle est né avec la « sensation d’un monde chaotique, périlleux et incontrôlable »2, il change l’œnotouriste.
La course à la performance et « les promesses d’une modernité plus efficace, plus rapide, plus créative génèrent une peur non pas d’avoir plus mais d’avoir moins »2 (Nous sommes tous en concurrence avec autrui).
Ainsi l’accès au monde augmente en quantité (mobilité, information, communication…) mais diminue en diversité et perd en qualité du fait de sa technicité et de son institutionnalisation despotique.
Etre plus riche (argent, contacts sociaux, accès aux informations …) est-il synonyme de plus de bonheur ?
L’être post-moderne est désabusé : un individu aux passions froides et aux joies tristes. La sensation de futilité liée à l’absence de relations avec ce qui nous entoure entraîne vers un état de dépression qui selon Hartmut Rosa serait la peur fondamentale contemporaine.
Il a de plus en plus conscience de l’absurdité du monde et se retrouve tiraillé
-entre son besoin d’évasion et de changement
-sa conscience responsable de destructeur
La perte de contrôle des buts & des moyens mènent à l’aliénation comme le disait Karl Marx. Max Weber pensait que la perte de contact et d’échange avec le monde entraîne le désenchantement. En réponse, nos contemporains sont en quête de sens, de pure & d’authentique comme solutions à cette perception du néant.
On voit bien les arguments de l’œnotourisme dans une telle situation.
Le vin et la visite des vignobles comme médecin du mal du siècle. Antidépresseur sociétal et universel ? Pourquoi pas ? En tout cas, il constitue l’une des solutions à ce monde en risque de déshumanisation, en pleine rupture historique avec le rural et frustré de relations humaines franches et bienveillantes.
Avec l’œnotourisme, on est en train de réinventer le Pharmacon et le Symposion de l’Athène antique. Remède et poison, le vin est sujet et objet de plaisir. On en parle, il fait parler … Il soigne corps et esprit. Intuitivement on a retrouvé son pouvoir charmant/charmeur : il fait sens, et cela doublement.
-Il signifie, c’est-à-dire qu’il permet de retracer le fils conducteur du terroir, de la filiation patrimoniale de générations de paysans et de traditions rurales. Il prend le débutant par la main pour étudier la géographie, la climatologie, la géologie. Il aide à comprendre l’héritage gourmet, le savoir-être culinaire dans une commensalité perdue par l’usage du Mac Do en face de l’écran. Il participe à la construction d’un nouveau langage et d’une expression plus fine. Il renforce l’expérience et la connaissance du buveur en le rapprochant de son alter ego et en lui permettant de se situer dans une société sans cesse plus mouvante…
-Il est sensoriel, parce qu’avant d’être cérébral, le vin est intuitif. Il parle au regard, à l’odorat, au goût et à l’émotion. Il émeut par la beauté des paysages et de ses architectures. Il fascine pour sa rareté, son prestige ou par la simple camaraderie qu’il procure. Il est mémoire et sentiment, il est fierté et humilité. Il trouble par son ivresse aussi …
Grâce à cela le vin devient l’une des définitions de l’authentique, qu’il tend à personnifier. Le vin c’est la vérité comme le disait le poète Alcée.
Il n’est pas surprenant que globalement le monde s’entiche d’œnotourisme.
Le mot « authentique » du tourisme résonne aux mots « pur » ou « naturel » du vin. Une enquête sur Think with Google prouve l’intérêt pour le sujet et révèle qu’en « 2016, les requêtes voyage avec le mot authentique ont progressé de 66,6%. De 22% avec le mot insolite »
On connait bien les succès des vins naturels qui supposent une réappropriation par les vignerons du lien à la terre, au produit et à la vie.
Rien de surprenant que cette recherche séduise une population plutôt jeune et urbaine, coupée de la ruralité : au-delà du vin lui-même, les consommateurs l’absorbent par analogie cette Arcadie qui fait encore rêver.
Il s’agit de trouver une définition pour ce concept sybillin d’authenticité touristique et d’essayer d’y voir plus clair. Les chercheurs Xie et Wall le qualifient « d’actif intangible et de jugement de valeur ». Mais l’authenticité est un concept à géométrie variable selon l’individu ou l’institution qui intervient dans la chaîne de valeur.
Entre objectivité (SIQO Signes d’Identification de Qualité et d’Origine) et subjectivité, l’œnotouriste navigue entre son rêve de voyage, les moyens mis pour le réaliser et le contexte dans lequel il va se dérouler : Tout va dépendre de la perception du voyageur et de ses interactions avec les acteurs de l’œnotourisme.
Les médiateurs, travailleurs émotionnels sont de véritables passeurs, des transmetteurs de savoirs et de passion. René Girard 7, a théorisé le désir triangulaire : le discours et le regard de l’intermédiaire sur le produit, va interférer sur la manière dont il sera apprécié par le client.
Depuis la digitalisation du monde, on parle d’Influenceurs et de followers : un nouveau modèle de promotion/communication particulièrement bien assimilé par les secteurs du voyage et du vin. Ainsi apparaissent de nouveaux outils comme Influbook qui est un réseau professionnel ouvert pour les influenceurs à bâtir leur réputation sociale.
1 Pine & Gilmore: Authenticity, what consumers really want ? – Boston – Harvard Business School Press
2 Harmut Rosa : Rendre le monde indisponible – Paris, La Découverte
3 Eva Illouz : Les marchandises émotionnelles – Paris, Premier Parallèle
4 Rodolphe Christin : Le Manuel de l’Anti-Tourisme – Editions Ecosociété
5 Luc Boltanski et Arnaux Esquerre : Enrichissement. Une critique de la marchandise – Paris, Gallimard
L’œnotourisme commence à prendre de la maturité. Depuis une dizaine d’année, les acteurs progressivement se connaissent, se professionnalisent, se spécialisent …
Les destinations voisines améliorent leurs services également et insensiblement l’œnotourisme entre dans un marché de plus en plus concurrentiel. Il faut clarifier les offres. La digitalisation de l’économie, les contraintes de mise en marché du tourisme obligent à penser la standardisation.
Pour nécessaire qu’elle soit, la standardisation ne signifie pas l’oubli des valeurs que constituent terroirs & marques mais suppose une mise en forme qui entre dans certains prérequis.
La nécessaire structuration de l’offre
A l’échelon de l’offre globale d’un territoire, la France, il faut « mettre de l’ordre » dans la profusion foisonnante et hétéroclite d’un pays aux terroirs hétérogènes tant en matière vinicole que pour l’art de vivre ou les paysages.
Nous le savons, l’imaginaire attribue au Bordelais l’aspect « bourgeois » des châteaux prestigieux ; la Bourgogne est le pays des clos, des « vignerons paysans » et des « villages cliché » ; le Languedoc, la rusticité, aux vignes dispersées dans une nature solaire …
Il est vrai que l’offre des Grands Crus Bordelais aux marques luxueuses avec leur Château qui « deviennent la vitrine des ambitions du propriétaire » ne ressemble en rien aux pépites bio Occitanes, peu connues mais remarquables qui reflètent l’envie de prouver la richesse d’un terroir en pleine révolution.
On pourra continuer ainsi en parlant de la Provence et de ses rosés, les deux Rhône si différents et complémentaires, des secrets des Alpes, de la Bourgognes qui s’étend du Beaujolais à Auxerre, de Champagne pour ne pas dire des champagnes, du Jura si personnel au pays du Riesling en Alsace, de la richesse du Sud-Ouest et de cette vallée de la Loire si changeante au long de ses 1006 km.
Comment faire pour classer toute cette variété ? Tous ces vins aux identités si particulières ? Tous ces paysages ? Toutes ces histoires ?
Car tous ces domaines et châteaux n’ont que pour points communs que de faire du vin … et du tourisme !
Faut-il partir d’une évaluation du vin ? du paysage ? des traditions & art de vivre ? du patrimoine bâti ? du patrimoine immatériel ? du savoir-faire d’accueil ? des services au domaine ? … Quels sont les bonnes clés d’entrées ?
Cela pose la question à nouveau de la définition de l’œnotourisme qui on le sait bien est polymorphe … Il me semble qu’il y a un œnotourisme par vigneron ! Et même sans vigneron : Pour preuve cette initiative Parisienne aux Caves du Louvre
Catégorie Pédagogie & valorisation de l’environnement
Catégorie Restauration dans le Vignoble
Catégorie Séjour à la propriété
Catégorie Valorisation des appellations & institutions
Catégorie Le vignoble en famille
Ce travail a pour avantage de valoriser les efforts d’amélioration et de mise en tourisme des vignerons. Cela met en lumière le large spectre d’activités possibles et les ouvertures commerciales relatives à l’accueil à la propriété.
Ici, Terre de Vins se fait l’écho de la 1ère des 20 mesures pour développer l’œnotourisme en France, qu’Atout France propose avec « le lancement d’une démarche d’expérimentation autour d’un classement des expériences œnotouristiques ».
L’initiative dirigée par Hervé Novelli a le grand mérite de donner le La – et de travailler tous ensemble, petits & grands – pour installer une offre France cohérente.
Les paradoxes du tourisme du vin
La difficulté de la mise en marché de l’œnotourisme tient aux particularités des valeurs du vin, qui actionnent le désir de découverte chez le visiteur : C’est l’imaginaire du vin qui en fait sa force d’attraction !
Entre Art de Vivre et Prestige, entre offre Culturelle et activité de nature, entre service personnalisé et consommation de masse : il est plutôt ardu de trouver une harmonie qui puisse permettre d’évaluer l’ensemble de l’offre.
Car le point commun à toutes ces complexités reste le client ! Il est de plus en plus au centre, il revendique sa position centrale. C’est lui, par ses perceptions, qui va mettre la grande propriété légendaire sur le même pied d’égalité que le petit vigneron artisan : son expérience !
Bien sûr il a besoin d’être informé, rassuré et de visualiser rapidement les typologies de services disponibles sur le marché. Il faut donc lui fournir de quoi rationnellement établir son choix selon les critères qui lui sont propres. L’aspect fonctionnel est la partie visible de ce qui va être une promesse de voyage réussi.
Et pour que le rêve deviennent réalité, pour que le plaisir projeté se transforme en plaisir effectif, cette promesse doit être tenue.
D’un classement qui parle d’une offre à une réalité professionnelle qui concerne la demande, l’écart est abyssal.
Et cette authenticité devient de plus en plus une valeur demandée par le visiteur. Comment l’évaluer et la situer dans une grille d’appréciation ?
Elle peut être considérée comme la quête d’un autre monde – la perception identitaire de la vie locale – le fait des traditions – ce qui serait l’antithèse de la mondialisation – l’accès à des lieux dont la manière de vivre reste intacte ou qui rime aussi avec la valeur ajoutée et la qualité d’une expérience ?
Nous le voyons, la définition de l’authentique est très personnelle, et est fortement reliée au rêve initial.
La psychologie positive installe le bien-être subjectif comme élément principal d’analyse des individus. La quête existentielle est maintenant propulsée par une nouvelle économie du bonheur. Cette institutionnalisation du bonheur, à laquelle l’œnotourisme doit répondre, sera évaluée par le « psytoyen »* selon trois critères de que sont
-la rationalité émotionnelle
-l’authenticité
-la capacité d’épanouissement du consommateur.
Le lien qualitatif qui va réaliser la promesse se trouve essentiellement dans les connexions humaines qui seront établies lors du séjour.
Le travail expérentiel, de valorisation de l’offre et de la mise en action du visiteur pour générer une mémoire positive, est l’axe principal du produit œnotouristique. Et cela ne peut s’évaluer sous forme de programme réglementaire.
Et l’on comprend tout le succès de site d’avis comme TripAdvisor, Yelp, Google My Business ou même Expedia. Sans digresser sur la démarche de l’e-reputation et du marketing de la recommandation, on doit bien reconnaître l’importance des « retours client » comme élément qualifiant les offres.
Mon expérience terrain de guide viticole le prouve : « J’ai longtemps travaillé avec une agence réceptive, pour qui une prestation de qualité, depuis la toute puissance de TripAdvisor, est une prestation sans retours négatifs ».
Le quoi ou le Comment ?
D’où le dilemme qu’ont ce types d’agences à travailler plus ou moins sur les aspects fonctionnels et symboliques d’une prestation. Encore une fois de plus l’éternelle problématique du tiraillement entre le quoi et le comment ?
Dans un monde qui massivement s’oriente vers l’émotion, l’instinct, l’intuitif et amplifié par l’IT (Technologie Intelligente) la pensée Offre voit ses limites : le prouve cette étude réalisée par Adobe & l’Université de Londres** qui explique que « l’importance accordée à l’expérience de la part du client est telle que plus d’un consommateur sur deux (51%) se dit prêt à acheter un bien ou un service auprès d’une marque inconnue s’il est séduit par l’expérience proposée. »
On comprend très bien que le comment va dominer le quoi !
Le marketing de la Demande s’impose, parce que le Désir client prime … Nous sommes saturés de propositions commerciales, de messages tentateurs … le business du futur sera celui de se faire choisir.
En détournant le concept d’Eva Illouz qui parle de marchandise émotionnelle***, j’ai bien envie de conclure cet article en parlant d’œno-destinations émotionnelles, qui grandissent dans le classement intime du voyageur.
… Trois mois après la parution de cet article, on voit bien en lisant cette note de Vitisphère toute la complexité d’une classification … et si trop de règles pourraient être préjudiciables au développement du business ?
* Mattan Shachak – Echanger les sentiments : de la marchandisation des émotions en psychothérapie – Premier Parallèle Editions p 297
** Tom n°6 Etude réalisée par Adobe & l’Université de Londres P 87
** Eva Illouz : Les marchandises émotionnelles – Premier Parallèle Editions
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