Vers un management de l’Œnotourisme expérientiel – 2ème partie

L’impact du visuel

Jean d’Ormesson a raison en se questionnant sur la beauté qui « est un mystère qui danse et chante dans le temps et au-delà du temps. Depuis toujours et à jamais. Elle est incompréhensible…. Elle est dans l’oeil qui regarde, dans l’oreille qui écoute autant que dans l’objet admiré… Elle est liée à l’amour. Elle est promesse de bonheur. A la façon de la joie, elle est une nostalgie d’ailleurs. »

 

Cette puissance du beau est une alliée pour le professionnel réceptif, à lui de mettre en place un environnement positif favorable à l’épanouissement des visiteurs mais aussi des professionnels.

Il s’agit d’une scénarisation, d’une prise en compte du chemin que doit faire l’œnocurieux vers les paysages vignerons. Il y a des liens esthétiques naturels entre le beau en général et le plaisir du vin (cf Revue Espaces n°321, W. Flux). Avec l’oenotourisme, nous sommes dans l’hédonisme, dans une forme d’humanisme terrien : les plaisirs simples de la vie, dont le vin fait partie.

 

 

Sur l’itinéraire œnotouristique, ce cheminement commence sur la tablette à la maison (séduit par les visuels des sites Internet),  ou déjà sur le terrain « dans la destination », se poursuit à l’O.T. ou à l’hôtel avec la réception jusqu’à l’arrivée dans le terroir, la terre promise de l’enthousiaste bachique.

Un beau panneau, visible, lisible, une signalétique bien pensée, un cadre enchanteur et des abords soignés, c’est 80% du travail assuré. Une part de travail incombe au domaine viticole, une autre partie à la commune, une autre encore à l’appellation, nous retrouvons une fois encore la nécessité de penser ensemble la complexité d’une chose simple, en se basant sur ce concept d’œnosystème : l’accueil !

 

Un joli caveau ce n’est pas tout, le beau est aussi dans le sentiment d’y être bien – ainsi je me souviens en Californie pendant les fêtes de Noël, d’une belle flambée dans la cheminée et d’un sapin enguirlandé, ce qui installait une ambiance chaleureuse.

Cette réflexion globale du beau, du bon, du bien-être touche au coeur de la pensée expérientielle et doit être complètement intégrée comme une valeur de base par l’équipe manageriale afin de produire de la valeur émotionnelle transformable en valeur économique. Au Puy Ste Réparade, le Château La Coste démontre au quotidien cette combinaison du beau (architecture & art) et bien être (le café) en offrant une prestation globale adaptée à chaque visiteur.

 

Espace détente au Château la Coste. Un service global : vin, architecture, restauration.
Espace détente au Château la Coste. Un service global : vin, architecture, restauration.

Miser sur l’humain

La rupture est à l’origine du plaisir touristique (changement du quotidien, dépaysement, nouvelles saveurs, rythmes différents …), c’est ce qui enchante le voyageur mais c’est aussi ce qui lui fait peur (l’un des arguments de vente des agences de voyages c’est la sécurité !). L’imprévu est toléré dans les limites du charme provoqué par un léger stress qui finit bien. La plupart des touristes sont des aventuriers en charentaises, d’où les succès des activités réceptives de circuits avec chauffeurs par exemple.

 

Le tourisme est l’activité de l’immatériel, du service avant tout, devant le produit. Les interactions prennent une importance capitale. Ainsi le personnel d’accueil se voit confier un rôle crucial par la fonction technique qu’il opère (informer, servir, expliquer, réserver…) mais surtout par la dimension relationnelle (échanges humains verbaux et non verbaux) qui oriente la perception des prestations.

Il est à remarquer que l’on ne confère pas assez de reconnaissance à ces fonctions réceptives, la considération pour les employés à ces fonctions d’accueil n’est souvent pas proportionnée à son importance stratégique, qui reste l’un des grands enjeux des métiers du tourisme.

Le visiteur à des préoccupations qui s’échelonnent sur différents niveaux de priorité :

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La compréhension et la prise en compte de ces besoins constituent une référence de première importance pour les personnels œnotouristiques. Le monde du vin appelle à la fraternisation (le caractère universel du vin), l’étage 4 constitue l’objectif (pas toujours formulé) de l’œnocurieux, mais il n’est pas possible de brûler les étapes, il est primordial que les trois autres soit assurées pour chercher à échanger humainement.

 

Cette nécessité de médiation, indispensable pour organiser les fonctions primaires de l’accueil s’impose pour aboutir à une Offre Expérientielle de Qualité.

Ces médiateurs ont une fonction hautement tactique quand il s’agit de pouvoir réagir rapidement à tous les cas de figures imposés par le « direct » surtout quand il faut adapter dans l’instant une prestation vendue comme standard en sur-mesure. Ces situations sont inévitables et par l’effet « performance » de l’accueil ajoutent de la profondeur, du vécu à la prestation. Pour cela l’entreprise doit agir en approfondissant la réflexion de médiation.

 

 

Nous devons faire l’effort pour le visiteur, en essayant de gommer les aspérités inhérentes au voyage, ce travail qui aide le voyageur est souvent fortement apprécié et sera rétribué (la valeur symbolique du contre don de M Mauss : »donner ne peut être sans qu’il y ait réception, au sens d’acceptation, et recevoir oblige de même à rendre ») d’une manière ou d’une autre (achat, recommandation, fidélisation, partage…)

 

L’émotion est quelque chose qui ne passe pas de mode

 

Le marketing du XXème siècle nous a fait croire que le consommateur avait des attentes standardisées, que le marché correspondait à des CSP aux fonctionnements rigoureusement canalisés par leur appartenance culturelle. Depuis l’on a découvert que l’émotion prime sur le rationnel, les sciences sociales et les demandes clients nous montrent que l’on achète un produit / service pour l’état d’esprit qu’il procure, pour l’idée que l’on a de la marque et de son engagement. Il s’agit bien d’un rapport émotionnel aux objets.

Le visiteur devient un co-producteur, actif et inter-actif, il prend des initiatives. Au centre de toute la démarche marketing, il apporte, par son investissement et son épanouissement, la Valeur Exprérientielle Ajoutée (VEA). Cette évolution de la valeur économique se base sur l’aspect unique du vécu, et la mémorisation fondée sur le souvenir émotionnel permet de se démarquer radicalement de l’offre concurrente et de sortir de la banalisation de l’offre service / produit.

 

Le caractère innovant  provient surtout de l’expérience que le client va retirer du produit / service. Il convient donc de penser à ce qui va rendre le produit / service unique. Ce passage au statut d’exception résulte de la manière de donner du sens.

Cela résulte de la combinaison entre le

  • Quoi : du produit / service
  • Qui : le client – l’intervenant
  • Quand : le rythme – la saison
  • Où : paysage – bâtiment
  • Que : échange – animation

Ce supplément émotionnel peut-être déclenché par des approches qui offrent de la nouveauté, suscitent de l’étonnement ou de la surprise, qui favorisent les rencontres, utilisent les sens, le tout en mettant l’offre œnotouristique (marque, produit, territoire, appellation, destination…) au centre de la relation client, l’engageant et le fidélisant.

 

Vers un management horizontal

 

S’ouvrir au monde et recevoir une clientèle aux profils parfois très variés (français / étrangers, familles / groupes, amateurs / novices …) est un vrai métier. Organiser l’accueil (efficacité, rentabilité, fidélisation…) n’est pas uniquement du ressort de l’équipe réceptive : cela se décide à l’échelon supérieur de la prise de décision.

 

Quelque soit la taille et le type de l’entreprise œnotouristique, celle-ci doit évoluer vers des tendances plus contemporaines de gestion pour s’ouvrir vers une clientèle sans cesse plus mobile et globalisée. L’une des tendances de fonctionnement du monde du tourisme est son aspect horizontal : on communique facilement à tous les échelons, le boss est souvent disponible et chaque opérateur est polyvalent. Cette culture d’entreprise doit être le modèle d’avenir en privilégiant la Gestion des Relations Client.

 

Des salariés à l’aise dans leur fonction, confiant dans leur relation hiérarchique et responsabilisés auront plus d’impact auprès des visiteurs. Leur ton plus franc, sincère, authentique saura persuader et séduire, cela induira une expérience client concluante. La culture d’entreprise est quelque chose que l’on sent aisément, et cela doit se travailler à même titre que l’aspect esthétique du site, le packaging des vins ou le niveau de langue pratiqué : il s’agit d’une esthétique du relationnel !

 

La mise en place d’un nouveau management plus collaboratif (nous pouvons imaginer un Brand Manager gestionnaire du couple image destination & image appellation) suppose une remise en question des habitudes en redéfinissant les fonctions et postes de travail. Les modes de communication en interne deviennent alors la clé du succès de ce choix managerial, non seulement sur les techniques employées mais aussi la qualité des relations qui seront instaurées : d’emblée la situation « égalitaire » devient un préalable dans ce système de travail.

Dégustation au château Vaudieu
Dégustation au château Vaudieu

L’utilisation d’outils informatiques (Progiciel de Gestion Intégré – PGI – que l’on adapte aux fonctions de l’accueil) devient la fondation de ce principe de direction d’entreprise. Cela facilite la gestion quotidienne du travail, permet à chacun et de façon transparente en centralisant les informations, de faire évoluer l’agenda des réservations, de réaliser une base comptable solide, de constituer un historique client de qualité, d’avoir une messagerie interne … Cette métamorphose où tout le monde participe à la mise en pratique du management stimule la communication interne et l’émulation des employés, ce qui accroît les performances, et les perceptions positives des visiteurs s’améliorent.

 

Avec les outils modernes de communication que sont les tablettes, les smartphones … la mobilité se voit amplifiée. La connectivité favorise le partage rapide de l’information et peut ouvrir vers des coopérations externalisées. L’intégration de personnels « détachés », extérieurs à l’entreprise se trouve ainsi favorisée. Aucune différence, pour le visiteur, entre un salarié maison et un guide viticole de passage par exemple. Il y a connivence entre l’interne et l’externe au bénéfice de l’efficacité et à la mutualisation des objectifs : la VEA (Valeur Emotionnelle Ajoutée …).

 

Ce principe de gestion de l’humain, basé sur la confiance et la responsabilisation doit fonctionner sur des modalités de flexibilité et de prise d’initiative. La transversalité, l’horizontalité, la « collaborativité » sont des valeurs qui constituent l’environnement des réseaux sociaux, principes convergents avec les attentes d’expériences des touristes qui ne veulent plus être de simples consommateurs, mais des co-créateurs de leur voyage : ’innovation et gouvernance sont liées, qu’elles sont les deux faces d’une même demande collective« .

 

Les contradictions du tourisme se retrouvent dans cet enjeu du Marketing Expérientiel : standardiser des prestations dont les attentes clients ne cessent de réclamer de la personnalisation.