L’aspect symbolique et poétique du vin : un atout pour le tourisme

L’œnotourisme existait déjà pendant l’Antiquité : Roger Dion* parle « des vacances de trente jours pendant lesquels l’Empereur participe, dans l’une de ses villas, aux réjouissances des vendanges ».

 

La beauté des paysages – le temps libre que l’on s’octroie – l’opportunité d’approfondir des liens avec des proches ou de faire de nouvelles rencontres – la douce ivresse qui améliore les perceptions – le retour au bucolique en rupture avec la ville et l’ordinateur, tout cela est possible par l’idée de la Culture du Vin et de l’œnotourisme. Pierre Rabhi** précise que  » c’est sous l’inspiration d’une rationalité sans âme que s’est construit le monde actuel. Il est comme dépoétisé, propice à l’ennui et au désabusement… »

 

La pratique de l’œnotourisme entraine chez le visiteur une sorte de métamorphose – Bachique – et de passage : de l’homo urbanicus à l’homo poeticus.

 

Le consommateur – particulièrement pour les pays non producteurs et anglo-saxons – évoluent du mode Apollinien de l’homme éduqué et rationnel, aux émotions contrôlées, à celui plus spontané de l’état Dyonisaque, vers une ouverture à l’inattendu et à l’imprévu. C’est le moment d’une rupture basée plus sur l’épanouissement sensoriel et émotionnel qu’intellectuel.

 

Le passage du sauvage au civilisé, que la fonction éducatrice du vin incarne (là où il y a vigne, il y a l’homme et son savoir, le ferment de la civilisation), trouve une transposition rituelle dans l’œnotourisme.

Des réminiscences des processus initiatiques anciens du culte à Dionysos, dieu du vin mais aussi de la création libre et chaotique, se retrouvent dans cet élan et ce voyage dans les vignobles.

 

L’identité Française est dans le vin

 

La charge symbolique du vin constitue une part réelle de l’identité Française, enfin reconnue officiellement : le Sénat a pris en compte la dimension Culturelle du vin en février 2014. Le vin est l’un des composants de notre art de vivre : une manière unique de se comporter individuellement et / ou collectivement.

Cette notion d’harmonie et d’esthétique constitue pour nous un avantage concurrentiel indéniable pour la promotion de la destination France.

 

Voilà pourquoi il est quasi obligatoire pour un visiteur non européen d’envisager la consommation d’une prestation liée au vin : une manière de s’approprier la Culture française en l’ingérant.

 

 

Ainsi, l’idée que l’on se fait de la France à l’étranger, d’un pays « romantique » est en connexion avec le vin et son usage (les rituels de consommation, la fonction « genrée » du service, l’esthétique des accords mets et vins … ). Par exemple, les « honeymooners » viennent célébrer leur mariage dans nos caves, comme un baptême rétrospectif qui séduit aussi les « vieux couples » à l’occasion d’un anniversaire de leur union.

 

L’accès à la « Culture du Vin » est considéré outre-Atlantique comme un savoir-être, un état de vie, une entrée en religion presque, et suggère des cadres de vie harmonieux ouvrant l’individu à l’écoute de son environnement et la compréhension des interactions.

Ce caractère universaliste de cette conception du vin civilisateur n’est pas fantasmé, il est parfois consciemment énoncé en tant que règle d’existence pour donner du sens.

 

Un individu citadin, coupé des rythmes naturels, où les goûts et les sensations sont oubliés, trouve là une chance de grandir dans son développement personnel. Cela, en cultivant, par exemple, l’analyse sensorielle qui suppose un intérêt pour les modèles olfactifs naturels (l’odeur de l’iris, de la cire, du cèdre … ).

 

Par ailleurs la notion de vin « français » à l’identité culturelle forte laisse planer une idée de mystère liée à la civilisation.

 

La pratique œnophile est rarement solitaire, elle est partagée. Là encore l’usage du vin est un outil favorable à la connaissance de soi, l’art du langage, et la traduction des sensations ;  et le partager relève d’un certain degré de civilisation (la science de gueule, expression utilisée par Montaigne dans les Essais : parler et manger passe par le même organe ! ).

 

Le symposion : réunion pour boire du vin et causer
Le symposion : réunion pour boire du vin et causer

La notion  grecque de « pharmacon » – terme signifiant à la fois remède et poison – se trouve dans la pratique du vin, nous retrouvons cette idée dans le slogan bien connu  « Un verre ça va, trois verres, bonjours les dégâts ». Nous touchons aussi au French Paradox où le vin participe de façon positive à la diète quotidienne en mangeant plus riche et en mourant plus tard. Voici bien un aspect que nous envient fortement les américains !

Les amateurs de vins savent leurs limites intimement, sans le savoir ils sont héritiers des « symposions » de l’Hellade : le vin démasque (on a le vin triste, amoureux … ), la philosophie est dans le contrôle.

 

 

La charge symbolique et poétique du vin

 

Toutes ces accumulations émotionnelles (très perceptibles mais difficile à définir) recherchées par les œnotouristes ne sont généralement pas exprimées (dans les offres commerciales, les argumentaires des agences etc), cependant la magie de l’attraction du vin, des visites de cave, la chance de pouvoir rencontrer le vigneron, tout cela procède de la charge symbolique et poétique des voyages viticoles.

 

Ce pouvoir d’attraction est un atout puissant en terme de marketing qu’il faut pouvoir valoriser sans tomber dans le pédant ou le désuet. En connaître l’existence et en jouer astucieusement constitue un avantage concurrentiel de séduction, que les bons professionnels savent plus ou moins consciemment utiliser.

Nous sommes ici pleinement dans le marketing émotionnel : permettre au visiteur de vivre une expérience unique qui entraînera une série de réactions positives (achats, fidélisation, mémorisation, bouche à oreille … ).

 

Cette « poésie » de la visite est fragile cependant, et pour la préserver il est préférable de mettre en œuvre une série de bonnes pratiques : écoute du client, timing relax, qualité du service, disponibilité, nombre d’échantillons dégustés et qualité du vin, mise en scène « naturelle » …

 

Entre le client et la prestation finale, la longue liste des intermédiaires (institutionnels, agences de voyages, hôtels et restaurants … ) participe à cette dynamique de conquête du client/visiteur. Le travail touristique de mise en valeur et de promotion doit être suffisamment subtil pour ne pas forcer le visiteur et lui laisser toute la liberté d’accéder à sa recherche de plaisir du vin.

 

* Roger Dion : Histoire de la vigne et du vin en France p 169 – Editions Histoires Flammarion

** Pierre Rabhi : Vers la sobriété heureuse p 35 – Editions Actes Sud