Quels outils pour une UX œnotouristique ?

L’expérience client (UX) dans les vignobles était le sujet d’une des tables rondes qu’Open Tourisme Lab à mis en place le 8 avril au Domaine de l’Hospitalet. Les enjeux sont considérables, dans un contexte de prise du pouvoir du consommateur (empowerment), d’hyper-concurrence et d’infobésité.
L’une des opportunités pour les metteurs en marché réside dans la qualité des services promis en proposant aux visiteurs de participer, de s’impliquer, d’être en action.

 

La proposition expérentielle résulte de l’interaction entre la destination / metteur en marché et le client qui rencontrent un intérêt commun à la co-construction de la prestation.

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De gauche à droite : Patrice Kermarrec – Patrick Verlynde – Pascal Cotte – Emma Kershaw – Alexandra Bourgouin
Des promesses … toujours des promesses !

La problématique majeure de l’œnotourisme des années à venir réside dans la tenue de la promesse … Celle-ci est relative au rêve initial qui a déclenché la décision d’achat.

La forte tendance de la demande post-moderne, intuitive, paradoxale, présentiste contraint les acteurs de l’œnotourisme à être réactif et créatif.

 

Cette réalité de la demande doit cependant être mise en perspective avec les particularités du secteur du vin qui inquiète autant qu’il attire :

la pression sociale liée à la connaissance

la complexité du concept de terroir

les comportements encore un peu réticents à l’accueil du monde viticole

ne rendent pas facile la découverte des paysages viticoles.

 

Ainsi le consommateur a besoin de médiation, de facilité d’usage et de mise en scène liés au voyage.

 

Les métiers de l’œnotourisme doivent penser le parcours client, sachant que ce nouveau secteur d’activité entre en phase de maturité ce qui signifie une concurrence accrue.

Deux grands axes doivent orienter la démarche pour fidéliser le voyageur : installer un sentiment de confiance et de sympathie pour mettre en place une relation durable et de qualité :

Le respect de la demande

L’implication du visiteur

Le digital au cœur de l’UX

Les usages digitaux participent de cette évolution schizophrénique de la consommation (demande de personnalisation et résa last minute, le même visiteur peut acheter des services low-cost et haut de gamme pour son voyage …) : les métiers du tourisme et du vin en sont particulièrement impactés.

 

Dorénavant l’offre doit se penser tant sur l’aspect physique que sur le côté numérique.

 

En cela, pouvoir travailler sur des données clients fines – particulièrement dans le marché de l’œnotourisme avec des visiteurs plutôt cultivés et aisés – devient un avantage concurrentiel saillant.

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Accueil physique versus accueil numérique ?

La table ronde 1 « Comment intégrer l’expérience dans la stratégie de l’entreprise viticole ? » a permis à deux actrices de l’accueil de se confronter à trois intervenants qui œuvrent dans le digital.

 

Alexandra Bourgoin du Château Gigognan a présenté sa stratégie de fidélisation en expliquant comment, grâce au Design Thinking, elle a construit une animation en 5 séances obligeant les participants à revenir et se transformer en ambassadeur du Château Gigognan.

 

Emma Kershaw, de La maison du Rire animatrice et pédagogue œnologique nous a prouvé qu’il était possible de recevoir des œnophiles Américains ou Australiens dans une contrée reculée comme les Corbières, à condition que la qualité relationnelle et du service était « à la hauteur ».

 

Avec Pascal Cotte, directeur Général de My Trip Tailor nous avons envisagé l’amont du voyage, en expliquant les enjeux de l’itinérance : voyager tendance « as a local » dans une logique douce et durable. La facilité d’usage, la co-création et la personnalisation sont les 3 caractéristiques de l’expérience MyTripTailor qui améliorent l’UX.

 

Patrice Kermarrec co-créateur de Wine’n Go est un spécialiste de la conciergerie. Il applique ce principe spécifiquement au monde de l’œnotourisme, ce qui offre des facilités d’usage tant pour les metteurs en marché (chambre d’hôtes, vignerons …) que pour les visiteurs. C’est un outil valide à l’échelle de l’entreprise comme à celle de la destination.

 

Selon Patrick Verlynde de PayInTech leur offre s’adresse plutôt au territoire avec son système de paiement « cashless ». Le confort proposé par cette application génère plus de fluidité dans le parcours, permet de gagner du temps, de valoriser des offres commerciales et de générer de la data qualifiée.

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Ces regards croisés ont donné la possibilité aux 180 personnes présentes de se faire une idée des possibles de l’œnotourisme de demain.

 

Ces visions nouvelles d’un métier toujours en définition sont au cœur d’une problématique du changement provoqué par la digitalisation de l’économie. On le comprend mieux lorsque l’on considère l’analyse de l’agence marketing Wine Intelligence prévoyant une évolution de la consommation du vin influencée par l’importance croissante du discount, de l’économie visuelle & des niches produits.

 

La fidélisation créée par l’expérience est devenue un enjeu majeur : c’est un lien affectif dans une distribution sans cesse plus omnicanalisée.

 

L’avantage concurrentiel ne réside plus uniquement dans des plus fonctionnels ou des bénéfices tarifaires. A l’ère des marchandises émotionnelles, le prestataire doit être capable de proposer des moments de vie heureux pour gagner !

 

Les paysages viticoles : un capital Culturel !

Le vigneron est un artiste, et pas seulement parce qu’il produit des flacons délicieux ! C’est lui, et ses prédécesseurs, qui ont sculpté, façonné, organisé les valons reculés en vagues de végétations. Imaginez la vallée du Rhône nord sans leur patient et minutieux travail.
Le syndrome du Tour de France

Nous l’oublions souvent, mais les visiteurs, encore plus ceux qui viennent de loin, sont amoureux de nos paysages. Le Tour de France, troisième événement sportif le plus médiatisé, attire parce que la France est belle : les villages reculés, les champs de tournesols, les routes alignées de platanes tout cela alimente la machine à rêver qu’est le tourisme.

« Sightseeing » ce mot anglais qui signifie tourisme et excursion contient la définition de la motivation client : Sight se traduit par vue et Seeing par voir – tout un programme !

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Bien entendu le rapport au monde est avant tout visuel. Les paroles viennent ensuite. Dans notre cas, les œnodestinations françaises ont un très fort pouvoir de séduction. C’est tout le charme de l’agritourisme également !

Ne gâchons pas notre potentiel qualitatif en oubliant de le valoriser, sous prétexte de temps perdu. Cela est encore plus vrai depuis que le post-modernisme vit sous le joug du smartphone, qui photographie, partage et mémorise.

Les gens du pays

Les vignobles, beaux et paisibles, contiennent l’énigme des Terroirs, le secrets des gens du pays. On a vite fait le lien avec la qualité des vins … et par synesthésie les beaux paysages font saliver, ils suggèrent la qualité des crus.

Souvent, la réputation précède l’idée réelle de l’expérience. On parle d’image d’un territoire, d’une marque … Avec le digital l’image est partout maintenant. Bordeaux et Bourgogne sont devenus tellement célèbres qu’il faut presque vérifier l’aspect de leurs vignobles, cela doit expliquer les flux naturels de visiteurs, et qui ne sont pas toujours winelovers. Ils doivent « taster » à quoi ressemblent ces noms ?

Un voyage finalement, n’est franchement abouti que si l’on a pu « prendre langue » avec les autochtones, de regarder, se sourire, entendre des intonations … C’est peut être la raison du succès des marchés dit « Provençaux », du shopping ou de la visite de cave. La rencontre c’est rendre vrai le voyage !

Peu de Gall : Pied de Coq : système de drainage pour éviter l'érosion des pluies violentes

Peu de Gall = Pied de Coq : système de drainage pour éviter l’érosion causées par les pluies violentes

Mais les visiteurs œnophiles sont citadins, le vide des campagnes les effraie. Cette appréhension légitime ne peut être calmée que par les rencontres. Parler et faire ensemble est le meilleur antidote contre l’ennui. La découverte des vignobles reste l’argument principal qui permet de transgresser cette peur initiale dans les espaces reculés. Un peu comme le pharmacon des Grecs anciens, le tourisme du vin attire et inquiète.

Alors, déguster devient le prétexte pour toucher les gens du pays ! Mais la magie du vin est telle que très vite, du consommateur au producteur la relation devient amicale, de moi à toi. C’est là aussi que le vin est bon ! Et l’on s’en va satisfait d’une dégustation qui ne laisse pas que le goût du vin, mais le souvenir d’un sourire, d’une expression ou d’un accent.

Les paysages ? Mais c’est un livre d’histoire !

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L’interprétation des paysages constitue le secret d’une mise en scène réussie. Cela aide à capter l’atmosphère : le visiteur est en quête d’intime. Pour lui tous les monts se ressemblent, les vallées sont anonymes, le temps est invisible, il n’en voit pas les traces.

Depuis peu, les prestataires touristiques ne cessent d’utiliser le mot « expérience« , comme s’il suffisait de le dire pour que la consommation de la prestation en soit une ! Cette expérience n’en devient une que si les conditions pour déclencher une émotion sont réunies !

L’impact sensitif des harmonies de formes et de couleurs, primaire et intime peut s’amplifier grâce aux échanges. L’intervention d’un intermédiaire est souvent indispensable. Comme je l’ai souvent dit, le vin est du domaine de l’humain, de la rencontre, de l’échange !

Le médiateur (vigneron, guide œnotouristique, passant, habitant, paysan, le digital …) est là pour aider le regard à décrypter (les masses et les textures, les formes et les reliefs, les nuances et les détails). Un fin connaisseur du pays (les Guides de Pays par exemple) peut expliquer en quoi un axe routier fut choisi à un autre, pourquoi telle essence d’arbre fut plantée, pourquoi une agriculture a remplacé une autre ?

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Cette vie humaine a laissé des traces … et nous aimons tous à jouer aux enquêteurs, mi-ethnologue mi-géographe sur les pas des ancêtres.

Découvrir les dessous du Terroir

Le visiteur moderne désire … Il aspire à l’insolite, l’unique, l’authentique. Et même s’il sait qu’il se raconte une histoire, conscient que d’autres feront la même chose … Qu’au moins sa propre pratique du lieu soit exceptionnelle … Parce qu’il le vaut bien !

Les prestataires œnotouristiques doivent donner au voyageur les moyens de satisfaire sa curiosité. Le visiteur repartira avec une idée du pays, celle qu’il se sera construite. Il aura participé, grâce à l’intervention de l’hôte, à (re) écrire l’histoire du lieu. Une de plus ! Mais c’est la sienne, celle qui compte.

Et le vin dans tous ça ? … Il devient la mémoire liquide, le témoin de son passage, la prolongation d’une émotion qui a été un voyage. Et le storytelling qu’on a donné à entendre au visiteur, en deviendra un nouveau, celui qu’il s’est approprié, où il peindra ses valons, ses rangées de ceps, ses cailloux et ses argiles …

Comment valoriser ce qui nous entoure, donc ?

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  1. Tout d’abord, prendre son temps ! Les vignes mettent des décennies à croître, un grand vin parfois demande des heures à s’exprimer : vitesse et œnotourisme ne sont pas synonymes.
  2. Etre prêt à tout moment de recevoir quelqu’un : avoir imaginé une mise en scène (itinéraire, histoire, point de vue …) est la deuxième tâche à entreprendre.
  3. Enfin, être humain : cette forme de professionnalisme qui écoute, échange, partage et s’intéresse.

L’exemple de l’association Haie Vive Alsace qui cherche à replanter les haies, à rétablir les paysages d’avant le remembrement, son savoir-expliquer peut aider à visualiser les champs du possible pour les prestataires œnotouristiques sensibles aux paysages.

Avec tout ce qu’il a vu, senti, entendu, touché, goûté notre voyageur appartient maintenant au pays … Il part enchanté, comme par magie, grace au beau et au vrai.
Il est transformé, et se proclame dès lors nouveau membre du terroir : un ambassadeur ! Et c’est si vrai qu’il en a le goût qui lui vient à la bouche quand il y pense.

L’expérience est l’élément moteur de l’œnotourisme

L’expérience est la principale motivation de l’œno-curieux : goûter – voir – rencontrer – apprendre – échanger – acheter sont les motivations majeures.

Bien entendu le vin est le sujet principal. Goûter et comparer des vins est une grande opportunité de prendre place et grandir dans ce monde si difficile d’accès : ainsi faire une mini verticale (dégustation du même vin sur plusieurs millésimes) – chose simplissime pour tout professionnel du vin, devient l’objet d’un rêve pour beaucoup.

 

Il faut offrir aux visiteurs une occasion d’expérimenter…

Pouvoir découvrir différents vins d’une même appellation sur un même millésime est une autre façon pour comprendre un terroir ou le travail des vignerons. Les possibilités en matière de dégustation sont larges, il est possible d’ouvrir sur les cépages, les millésimes, l’élevage…

L’idée n’est pas de fournir trop d’informations mais d’éclairer le client et répondant à son désir (pas toujours explicité).

 

Voir (et/ou photographier) est l’un des autres intérêts  du voyage viticole : « l’interprétation du paysage » reste la meilleure manière d’introduire les notions de terroir et de savoir-faire locaux. Mettre le visiteur en situation, les pieds dans la terre, en bas puis en haut d’un coteau lui permettra de comprendre, bien plus facilement qu’avec des mots, et appréhender les nuances d’un terroir et du métier de vigneron.

 

La dimension humaine du vin est sûrement celle qui reste la plus négligée, sans doute parce qu’elle va de soi. Rencontrer est un ressort important qui doit être amélioré dans le domaine de la promenade viticole. Pas étonnant que les organisateurs de voyages incentive ont été les premiers à creuser cette piste. Des petits groupes d’amis, des voyages en famille sont aussi l’occasion d’escapades bucoliques.

 

N’oublions pas l’effet positif du vin pour faciliter les rapprochements, à tous les niveaux, professionnels, interpersonnels…

Faire une expérience : ici, au châteaut Mont-Redon à Châteauneuf du Pape
Faire une expérience : ici, au château Mont-Redon à Châteauneuf du Pape

Apprendre semble une évidence avec le vin ! Souvenons nous de l’adage « les voyages forment la jeunesse » : il y a de la métamorphose dans un voyage, cela permet de se découvrir, dans un milieu différent, avec de nouvelles situations et des émotions jamais vécues.

 

Voyager est un choc de Culture

Le vin est lié à la parole, il la libère d’ailleurs, cela favorise la notion d‘échange, incontournable dans le monde internationalisé du tourisme, une évidence dans celui du vin. Partager des sensations, mettre en perspective des terroirs, devient vertigineux quand il y a choc des cultures. Dans un mini groupe constitué d’individuels d’origines différentes, de nombreuses interactions peuvent se créer et colorer la perception de la prestation.

 

Enfin, Acheter, est un plaisir et un aboutissement. C’est la promesse de la prolongation de l’expérience, c’est l’appropriation symbolique du lieu, c’est aussi un acte de reconnaissance ou de remerciement.

On peut parler de réelle frustration, lorsqu’un visiteur de Seattle ou de Singapour ne peuvent acheter plus de 1 ou 2 bouteilles pour cause de réglementation aérienne. En aménageant un coin boutique dans le caveau, le vigneron pourra, en plus de stimuler son CA, répondre à l’attente du client et renforcer fortement l’image de la marque.

 

 

Le marketing émotionnel est une autre façon de nommer le marketing experientiel. Cette discipline recouvre la réalité vécue du client et sa mise scène, en lui faisant vivre des expériences uniques, en « théatralisant » le lieu de vente, en lui promettant « vins et merveilles ».