Œnotourisme & Design d’expérience

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère marketing : celle de l’expérience client (UX) !
La prise en compte de cette UX (User Experience) a bien évolué depuis les cinquante dernières années :
  • De la compréhension du processus d’achat et de la satisfaction du consommateur dans les années 70, la vision client a évolué vers la prise en compte de la qualité du service, de la relation client et de la Gestion Relation Client (CRM).
  • Au tournant des années 2000, on a commencé à penser la relation client en le mettant au centre de la démarche et cherchant à l’engager émotionnellement*.
    ⇒ Le visiteur désormais ne consomme plus le produit pour ce qu’il est mais pour les émotions et l’expérience qu’elles lui apportent !

 

« 61% des nouveaux clients privilégient les produits & services qui reflètent leurs valeurs personnelles, ils sont plus fidèles envers les marques qui adaptent l’expérience selon leur besoin et leurs attentes. »**

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Exemple au Château Gigognan – Châteauneuf du Pape

Imaginez une superbe bâtisse Provençale comme un oasis de vignes et de pins d’Alep, Gigognan est un domaine bio en CdR & CdR villages de 41ha et 41 ha en Châteauneuf du Pape.

Malheureusement, la propriété ne se situe pas sur le territoire Châteauneuvois et est séparée des axes naturels par une zone d’activité peu attractive.

 

Alexandra Bourgoin, responsable de l’œnotourisme a eu li’idée géniale de créer les Œnovations, qui pour la troisième année, fait revenir les visiteurs, 5 fois par an, les convertissant en amis du Château … grâce à sa proposition expérentielle ingénieuse.

5 séances où les œno-visiteurs sont mis en action tout au long de l’année et deviennent progressivement des « amis » du Château Gigognan. 5 ateliers (assemblage, conception étiquette, vendanges, devenir ambassadeur, découverte de la cuvée œnovateur) permettent aux visiteurs / acteurs de découvrir le vin sensoriellement tout en créant des liens avec les autres participants. J’ai été convié à l’atelier assemblage, et il est vrai qu’une atmosphère ludique et hédonique mettait les acteurs en « moment de bonheur » complètement perceptible. L’ensemble du personnel (du maître de chai au tractoriste) étaient mobilisés pour accueillir « humainement » les amis de Gigonan : il en résulte un fort sentiment d’appartenance, d’amitié, de fierté de faire partie des œnovateurs … et une connexion qui devient naturelle, les dirigeant spontanément vers le Château quand le besoin se fait sentir.

Alexandra Bourgoin a designé un produit qui implique les visiteurs, leur donne du sens en leur proposant de jouer en co-construisant. Un beau travail qualitatif et efficace.

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Mais le design de l’expérience … qu’est-ce que c’est ?

C’est le mécanisme qui vise à rendre la satisfaction du visiteur meilleure en lui facilitant l’accès, l’usage, le bien-être et le plaisir qu’il trouvera dans le déroulement de la prestation.

Par exemple la mise en place d’une bonne signalétique pour l’orienter aisément, des hôtes maîtrisant sa langue ou l’accès facile au wifi sont des éléments qui sensiblement améliorent la perception du visiteur.

 

Au-delà de cette courte définition, l’UX (User Experience) est souvent associée à la créativité numérique. Plus largement cela comprend le parcours du client de son point de vue :

inspirationnel

transactionnel

expérentiel

l’après voyage

Le design favorise et est à l’origine de l’expérience. Il faut donc mettre en place les conditions de l’usage en imaginant des scénarios impliquant le visiteurs tant sur l’aspect fonctionnel que symbolique.

Il faut comprendre les besoins des visiteurs et répondre à ses intérêts en réalisant l’offre et les services œnotouristiques.

 

Ce travail sur la qualité de l’expérience vécue, suppose que l’entreprise ait intégré en amont un management expérentiel. Cela consiste à calquer les pratiques de l’entreprise accueillante sur les besoins d’usage des visiteurs : par exemple ouvrir le domaine tard dans la nuit (en été) pour les caves proches du littoral, offrir des services de livraisons door to door pour les nord-américains, mettre à disposition un accès WiFi de qualité pour les visiteurs asiatiques …

 

Mais au-delà de la simple utilisation des locaux, l’organisation du « caveau de dégustation » doit sortir de son affectation ordinaire de lieu de dégustation pour muter en lieu de vie et point de départ à une itinérance organisée dans les lieux choisis de la propriété viticole.

 

Il s’agit alors de réfléchir à la mise en place de contenu économiquement valorisant pour la marque & émotionnellement attractif pour le visiteur.

La combinaison de ces deux contraintes seront génératrices d’hypothèses de produits touristiques qu’il faudra tester :

  • -roder les enchaînements
  • -comprendre les progressions dans le déroulement spatio-temporel
  • -estimer la transformation du visiteur dans son appropriation à la marque/territoire/appellation …
  • -modéliser les thématiques et contenus de visites

 

Tout ce travail de structuration du produit résulte d’une approche analytique fine de la demande mise en perspective avec les objectifs et moyens de l’entreprise.

 

Exemple avec le domaine Olivier Leflaive

Le domaine Olivier Leflaive en Bourgogne, a complètement intégré le besoin des visiteurs compte tenu des spécificités de sont offre de Grand Cru (Bâtard-Montrachet, Corton-Charlemagne, Montrachet …) en proposant des visites où les propriétaires, « Esprits du lieu », accueillent et présentent personnellement la cave et les vins. Une gamme de services permettent de rentrer en contact avec les œnotouristes en mettant en valeur terroir, vin, esprit maison et la relation privilégiée autour du vin. Ici la dégustation se fait autour d’une « grande table » au service des vins pour les découvrir dans de bonnes conditions.

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Précurseur de l’œnotourisme en Bourgogne, Olivier Leflaive a compris l’importance symbolique de l’humain et en particulier le rôle du vigneron, créateur et interprète de terroir. Le phasage service / client est réussi en offrant des prestations hôtelières cohérentes avec le niveau de gamme des vin.

Les 5 phases pour le UX design

1 La connaissance client

2 Trouver une idée

3 Conception organisationnelle

4 Conception expérentielle

5 Contrôle & suivi

1 La connaissance client

Bien que votre offre reste la même quelle que soit l’origine du visiteur, la perception de ce denier peut varier considérablement selon son origine : un Français ne sera dépaysé que pour les changements de paysages et l’intime notion de terroir – un Chinois et même un Canadien, s’arrêtera sur les moindres détails de notre quotidien : tout est prétexte à exotisme pour lui !

Une même prestation aura un impact émotionnel très différent selon la Culture, le timing & le rythme des vacances, les attentes implicites ou explicites …

2 Trouver une idée

Quelque chose d’innovant, basé sur la créativité, qui réponde à un besoin client et qui entre dans le champ des possibles pour l’entrepreneur œnotouristique ! Une vision du patron, un retour client, un travail co-création … les points de départs sont nombreux, cependant les étapes de validations des intérêts du marché et de la faisabilité du point de vue entreprise vont déterminer le cheminement stratégique du projet.

3 Conception organisationnelle

C’est le moment où l’on commence à poser les grands thèmes qui seront prétextes à valorisation et interprétation. Il s’agit là de référencer toutes les catégories thématiques et la définition de leurs contenus. Cette matière brute prendra forme par une narration et une scénarisation choisie, adéquate à chaque offre spécifique, chaque itinéraire, chaque support de travail.

4 Conception expérentielle

En se basant sur chaque catégorie d’interprétation, on définira les outils, les moyens techniques et les connaissances (intellectuelles & émotionnelles) à mobiliser pour permettre une interaction positive entre la marque du domaine viticole et le visiteur. C’est lors de cette étape que seront écrites les perceptions expérentielles clés (surprises, découvertes, humour, sens & sensations …) selon un schéma choisi en fonction des contraintes (temps, itinéraire, budget …) et les objectifs de l’entreprise.

5 Contrôle & suivi

Pour chaque type de prestations à mettre en œuvre, il faudra tester, essayer avec de vrais visiteurs en phase béta l’ensemble du service. Les outils, les activités, les histoires, les documents … seront éprouvés pour être retirés, améliorés ou évoluer en n+1, n+4 …

 

Mais le design de l’expérience … Pour quoi faire ?

Un exemple hors du monde de l’œnotourisme mais qui prouve que Ô combien l’esprit d’adaptation compte dans les métiers de l’accueil.

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Exemple avec l’hôtel Ibis Nîmes

Isabelle Hermier, directrice Ibis Nîmes, réoriente la stratégie de son hôtel en le faisant passer « d’un lieu de nuit en lieu de vie » : tout part du principe que ce lieu est vide entre le check-out du matin au check-in du soir.

Ils ont réfléchi à une logique d’expérience client en entraînant l’équipe d’accueil vers encore plus de disponibilité & de bienveillance en mettant le rapport humain au centre du métier. Dans cette logique, le lieu de vie va servir aux activités émotionnelles en créant un Escape Game, des soirées festives (Dj  – mojito) pour proposer un nouvel usage de l’hôtel en installant un pacte relationnel réinventé ce qui induit des « moments de vie » pour les clients.  C’est un investissement en temps (réflexion, organisation, training …) qui est à bien réfléchir en terme de budget et de stratégie mais qui paie dans la logique de différenciation, de fidélisation et d’augmentation de la durée de séjour …).

 

Dans ce process du management du changement il faut accepter la possibilité d’erreurs – « nous sommes obligés de nous adapter, et de plus en plus intégrer la pensée expérentielle dans notre métier » dit Isabelle Hermier directrice des hôtels Ibis Nîmes.

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La mise en scène comme mot d’ordre de l’UX Design

Nous l’avons vu en introduction, le visiteur ne consomme plus le produit pour ce qu’il est mais pour le bénéfice que cela lui procure … et cela de plus en plus émotionnellement. Rien de plus vrai en matière de découverte œnotouristique !

 

90% des œnotouristes ne sont pas connaisseurs, « ils vont dans le terroir » pour aller à la campagne, faire « quelque chose entre amis » ou « apprendre un peu sur le vin ». Ils en retirent des avantages cognitifs (apprentissages, savoirs, savoir-faire …) & expérentiels (sensations, émotions, confiance …).

 » Le travail est le théâtre et chaque entreprise une scène  »

Joseph Pine & James Gilmore

Ce que le visiteur en retient peut devenir un atout maître pour le vigneron, si celui-ci est capable de proposer quelque chose qui sera perçu comme exceptionnel donc unique pour le visiteur. On voit bien tout l’avantage à bien réfléchir en amont ce bénéfice émotionnel client – car grâce à cette expérience – le vigneron (ou la chambre d’hôte, ou l’office du tourisme, ou le VTC …) vont installer une relation privilégiée, qualitative et durable.

 

Cette relation, basée sur la mémoire du client, va transformer son estime qu’il aura pour la marque, la valoriser et la rendre plus compétitive : Les consommateurs qualifient de plus en plus un produit en fonction de l’intensité émotionnelle qu’ils ont eu avec lui !***

 

C’est pour cela qu’il devient indispensable, à une époque où l’œnotourisme devient hyper concurrentiel sur l’échelle de la destination Européenne, de définir sa stratégie d’accueil.

 

 

 

*  Wided Batat : L’expérience client digitale – Eyrolles Editions

**Tom n°6 Etude réalisée par Adobe & l’Université de Londres P 87

*** Eva Illouz : Les marchandises émotionnelles – Premier Parallèle Editions