Tout est terroir ! l’idée est de pouvoir exploiter un territoire en en retirant le meilleur (on fait bien du foin AOP dans la Crau !) voilà l’héritage de nos anciens, qui ne pouvaient aller à l’école apprendre les notions de pédogenèse*, de complexe argilo-humique**, de cycle de l’azote ou du carbone…On apprenait en regardant, en faisant, en imitant.
Progressivement par l’observation, en opérant des sélections (zones géographiques, sélections variétales, adaptation de nouvelles techniques…), on a déduit que tel type de sol produisait de meilleurs grenaches et d’autres de meilleures syrah ! ‘L’origine du principe des appellations est profondément empirique.
Le terroir comme patrimoine vivant…un avantage concurrentiel œnotouristique
Les vignerons se sont transmis ces savoirs très fins (savoir-faire, savoir-être, une certaine culture du goût…) qui sont presque de l’ordre de l’indicible. Ces connaissances réelles sont passées un peu en second plan avec l’avènement des grandes universités oenologiques (Dijon, Montpellier, Bordeaux), mais elles planent toujours au dessus des appellations et des terroirs.

Selon l’UNESCO « le patrimoine culturel immatériel se réfère aux pratiques, représentations, expressions, connaissances et compétences transmises de génération en génération. Ce patrimoine offre aux communautés un sentiment d’identité et est constamment recréé en réponse à leur environnement […] L’importance du patrimoine culturel immatériel réside plutôt dans la richesse des connaissances et des compétences qui sont transmises ».
En revenant sur ces notions de patrimoine culturel vivant et en les mettant en perspective avec notre quotidien dans le terroir, on peut vite conclure que le vigneron est porteur d’un savoir complexe et simple à la fois : celui de son travail dans son pays au centre de son œnosystème. Voilà pourquoi certains hommes comme Emile Guigal, Jacques Reynaud, Arlette de Portalis ont porté leur appellation en devenant des légendes vivantes. Au Japon on leur aurait donné le titre de « Trésor Humain ».
Mais un vigneron en soi est une petite partie d’un TOUT, la force du terroir est la communauté des vignerons. La grande particularité de la notion de terroir réside dans son aspect humain, porteur de pratiques locales qui va donner une typicité au produit final.
Une marque de reconnaissance de l’Etat
La combinaison cépage/sol/climat n’est rien finalement sans la dimension humaine – individuelle et collective – qui va agir en révélateur du potentiel naturel. La complexité du vin résulte aussi du fait que les frontières ne peuvent être aussi marquées, et qu’en effet la vigne offre l’étrange particularité de traduire gustativement les aspects de son environnement.
Créé dès 2006 par Renaud Dutreil, le label « Entreprises du patrimoine vivant » donne un statut législatif aux métiers d’art et aux savoir-faire des entreprises. Dans ce cadre, quelques vignerons comme le champenois Roederer, la Maison Rémy Martin ou le Bordelais Château Haut Bailly. Ils ont décidé de valoriser leur patrimoine immatériel en obtenant ce label. Malheureusement, très peu d’entreprises viticoles profitent de cette opportunité pour renforcer leur image qui a un réel impact à l’export.
Le vigneron est la figure humaine qui symbolise toute la Culture du vin
- Sa dimension poétique : son métier de passion est fortement idéalisé, il est souvent considéré comme un créateur, un artiste, un poète. Il compose le paysage, il transforme le raisin en produit délectable, il concentre le paysage dans la bouteille …
- Sa dimension héroïque : son métier est physique, difficile où tout se joue sur une grêle destructrice, une mauvaise gelée, un orage destructeur. Souvent sont activité se déroule sur le temps long dont les secrets se transmettent de génération en génération.
- Sa dimension ethnologique : c’est un métier de patience et de savoir local, traditionnel. Le vigneron est un homme de terroir, où l’ancrage patrimonial le transforme en témoin de la vie régionale.
Retrouver et protéger les traces qui ont construit notre culture
Ce savoir être, tellement valorisé dans le monde agricole au travers des AOP/terroirs trouve son pendant dans le monde du tourisme. La mode parisienne, l’art de vivre à la Provençale, les paysages construits depuis des générations résultent d’un processus identique de savoir-être collectif.
En matière d’agritourisme ou d’œnotourisme, cela s’exprime de la même manière. Le visiteur vient déguster autre chose qu’un Tavel ou un Bandol : ils sont sensibles, sans être capables de l’analyser, à ces différences avec leurs vignobles et leurs vins.
La richesse subtile du collectif national, est la texture qui va colorer la réalisation des voyages œnophiles, qui procure un avantage concurrentiel en filigrane, que l’on se doit de valoriser et de préserver.
Nous sommes tous d’anciens agriculteurs : nous descendons de quelque paysan, il y a trois ou quatre générations, nous avons tous une attirance inexpliquée – comme instinctive – pour le Rural.
Le vigneron est porteur de cet héritage, il a traversé le temps un peu comme un « fossile vivant ». Chose d’autant plus fascinante, qu’avec le monde virtuel la notion d’attachement à la terre prend encore plus de valeur.
L’œnotourisme doit être conscient de ces nuances : si de nombreux visiteurs viennent découvrir nos vignobles, c’est aussi pour retrouver ces traces qui ont participé à construire ce monde.
* La pédogénèse (du grec pedon : sol) est l’ensemble des processus qui, en interaction les uns avec les autres, aboutissent à la formation, la transformation ou la différenciation des sols (wikipédia).
** Le complexe argilo-humique est l’ensemble des forces qui retiennent les cations échangeables sur la surface des constituants minéraux et organiques (le mélange de minéraux des sols argileux et d’humus constituant le « complexe argilo-humique » à proprement parler). Ces cations peuvent s’échanger avec la solution du sol et les plantes et constituent le réservoir de fertilité chimique du sol (wikipédia).