Les Rencontres nationales des Vignerons Indépendants de France (VIF) ont eu lieu les 15 et 16 avril 2014 dans l’Hérault : la conclusion fut de reconnaître la pleine justification du tourisme viticole en précisant qu’il fallait « développer une activité touristique qui doit d’elle-même être rentable sans y investir tout son temps ».
On ne peut que louer une telle assertion !
Mais l’oenotourisme ne fonctionne pas aussi simplement, il ne s’agit pas simplement d’ouvrir un caveau et de proposer des dégustations pour en retirer un bénéfice immédiat, développer ce discours peut induire une méprise préjudiciable sur les évolutions stratégiques des vignerons.
De nombreux paramètres à prendre en compte.
Si les vignerons ont pour point commun la production agricole, les variations de conditions et de modalités peuvent être considérables. Leur potentiel d’accueil très variable (taille de la structure, le patrimoine bâtit, le savoir être, le paysage, la proximité des grands centres et des flux, la notoriété …) entraîne une extrême diversité dans les réponses possibles et les adaptations stratégiques pour réaliser un accueil de qualité.
De plus, les clientèles sont très diversifiées avec pour chacune d’entre-elles une quantité de nuances de demandes et de comportements.
Ces contraintes n’empêchent pas le développement d’un accueil efficace et rentable. Apprendre à recevoir et s’adapter aux exigences du tourisme n’est pas insurmontable et peut vraiment stimuler l’économie d’un domaine viticole, d’une appellation, d’une région (par exemple l’impact économique du tourisme du vin dans le bordelais).
Il ne faut pas prendre en compte l’argument rentabilité comme unique facteur stratégique !
Vendre peut être un argument en effet, encore faut-il pouvoir monter en puissance et progressivement professionnaliser la structure d’accueil pour aboutir sur un parfait phasage avec la demande.
Le vigneron n’est pas seul. En France nous avons l’avantage de profiter d’un réseau très riche d’intercommunalités, d’institutionnels et de professionnels qui sont là pour harmoniser et dynamiser l’économie œnotouristique.
L’offre individuelle de la cave doit s’harmoniser avec la dynamique territoriale. Les notoriétés, les flux, les potentiels touristiques de chaque région viticole sont tellement variables qu’il n’existe pas de solution type : le succès doit se trouver dans la combinaison des motivations entrepreneuriales des vignerons, la dynamique locale, la réputation territoriale (terroir + destination) et le niveau d’équipement territorial global (aéroport, moyen d’accès, connexion internet … ).
Le travail de développement dépend autant de l’initiative individuelle que de l’effort collectif !
Jacques Berthomeau, Contrôleur Général au ministère de l’agriculture, lance un coup de gueule contre le tout communication, arguant que le monde viticole se lance dans une débauche de messages « indigestes, illisibles … dans un univers privilégiant l’instantanéité, la rapidité » : ce n’est pas en faisant beaucoup de mouvement que l’on nage le mieux !
Il souligne aussi l’une des particularités du monde vigneron disant que « les gens du vin s’adressent aux gens du vin sans même chercher à hameçonner ceux pour qui ça n’est qu’une boisson, certes sympathique, pour accompagner repas ou fêtes. »
J’ai envie de dire que l’œnotourisme suit cette voie floue et peut aboutir vers l’amatourisme. Combiné et amplifié par l’effet de « bulle » communicante engendrée par l’usage des réseaux sociaux, les vignerons risquent la déception qui pourrait être grande si l’on ne prend pas soin de montrer les bonnes pratiques et de coordonner et canaliser les énergies.
L’œnotourisme n’est pas un moyen, c’est un projet en soi.
En effet, l’œnotourisme peut doper les résultats d’un caveau, mais considérer cette activité par ce seul côté de la lorgnette, c’est réduire la portée de cette branche du tourisme et du vin. Les effets induits sont très importants en terme de développement d’image et de dynamique locale.
Pour cela il faut suivre une stratégie intégrée dans une logique d’entreprise totalement assumée : même en ne vendant rien le jour de la rencontre, la politique d’ouverture du caveau déclenche des ventes à distance, transforme le touriste en ambassadeur/prescripteur de la marque, ce qui va vitaliser l’exportation du vin, de l’appellation, et de la région-destination du pays.
Faire de l’œnotourisme suppose élargir son angle de vue : serré à l’échelon de la production et du terroir ; complètement ouvert au niveau du tourisme et de la … planète ! C’est le paradoxe pour le vigneron, faire le grand écart entre un métier du produit et un métier du service.
Le substrat humain dans le domaine de l’œnotourisme est la matière première, à manipuler avec précaution. Deux échelons doivent être distingués :
- Celui du monde professionnel ou BtoB qui a ses règles, son langage, ses codes qu’il est important d’intégrer pour gagner en efficacité organisationnelle et promotionnelle.
- L’autre, celui du client ou BtoC qui s’aborde différemment en répondant à ses attentes et lui procurant des expériences positives qui généreront des achats.
L’œnotourisme est un métier en soi – toujours en cours de définition – dont il est nécessaire de comprendre les règles pour obtenir des retours sur investissement. Peut-être que l’innovation doit se trouver dans la gouvernance globale du territerroir en s’appuyant sur une logique horizontale de participation où l’individu et le groupe, à l’image de l’Internet, se pensent et se construisent en réseau, un œnosystème.